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Tout sur ma mère

(Todo sobre mi madre)


Espagne/France, 1999, 1h41, VOSTF, 35 mm
Réalisation et scénario : Pedro Almodóvar
Photographie : Affonso Beato
Musique : Alberto Iglesias
Montage : José Salcedo
Interprètes : Cecilia Roth, Marisa Paredes, Candela Peña
Distribution : Pathé Distribution




Manuela, infirmière, vit seule avec son fils Estebán, passionné de littérature. Pour l’anniversaire de Manuela, Estebán l’invite au théâtre ou ils vont voir Un tramway nommé désir.

A la sortie, Manuela raconte à son fils qu’elle a interprété cette pièce face à son père dans le rôle de Kowalsky. C’est la première fois qu’Estebán, bouleversé, entend parler de son père. C’est alors qu’il est renversé par une voiture.

Folle de douleur, Manuela part à la recherche de l’homme qu’elle a aimé, le père de son fils.

“ La mise en scène d’Almodóvar va puiser dans les situations les plus dramatiques l’énergie vitale qui permet aux personnages de continuer leur vie. Il ne craint pas de creuser sous la surface des choses et des êtres pour y vérifier et exalter la puissance de vie de Manuela.

Au-delà de la construction dramatique en poupées gigognes, il convoque aussi deux autres figures d’une réalité cachée sous une autre : Le palimpseste, l’œuvre cachée sous une autre, et le flash-back, le temps caché sous un autre.

Par ces figures, qui sont moins celles du dévoilement que celles d’une réappropriation du passé, Almodóvar réunit ce qui étaient séparés : les amours déchirés, les générations, les sexes, le réel et l’artifice.”

Jean-Luc Lacuve
www.cineclubdecaen.com




“ Si le dernier film d’Almodóvar nous paraît aussi fort et, pour tout dire, si important, c’est qu’il tente le pari d’une grande forme et dégage du même coup l’horizon des possibles. Tout sur ma mère est donc un sublime mélo et un grand film romanesque, mais où le romanesque s’invente dans une nécessité totalement contemporaine.

Almodóvar ressuscite un fantasme de cinéma qu’on croyait mort avec Fellini : un cinéma capable d’inventer de toutes pièces un monde et où le rapport à la réalité s’établit autrement que sur le mode de la ressemblance.

Cette foi dans la puissance figurative du cinéma s’incarne tout naturellement dans le motif qui structure le récit : I’enfantement. Almodóvar rêve d’accoucher d’un monde par le cinéma tandis que ses personnages s’affairent à donner la vie. La procréation serait la quintessence de la création, puisque, vrai rêve de Pygmalion, elle donne corps non à des créations mais à des créatures. Dans un geste souverain d’artiste-démiurge, Almodóvar s’offre donc le luxe d’enfanter un monde à sa guise, quasi-exclusivement peuplé par l’espèce qui l’intéresse : les femmes. Et la plupart des hommes qui y trouvent une terre d’accueil sont également des femmes (ou presque). Il est beaucoup question dans cette histoire du All about Eve de Mankiewicz, mais l’Eve de ce titre ne renvoie pas seulement au personnage interprété par Anne Baxter. C’est aussi l’Eve biblique, la première femme qui enfanta l’humanité, la première création (après Adam) et la première procréatrice. Mais Almodóvar, dont l’extraordinaire appétit narratif semble aujourd’hui l’autoriser à réécrire rien moins que l’Ancien Testament, se permet de corriger ce récit des origines. L’Eve nouvelle, Manuela (Cecilia Roth), prend sa revanche sur le mauvais rôle que lui a fait jouer le mythe fondateur et déploie cette fois tous ses efforts (en apaisant la souffrance de chacun, en se rendant entièrement disponible aux autres - elle est à la fois cuisinière, infirmière, nounou, intendante, doublure de théâtre) pour retrouver un peu du Paradis terrestre tant abîmé par les hommes (qui sont tous, grosso modo, de mauvais pères).

Jean-Marc Lalanne,
Cahiers du cinéma, janvier 1999



“ Au cœur du dispositif, tel son secret étalé en plein jour (sous le regard de millions de téléspectateurs), un vieux film d’Hollywood, le chef-d’œuvre culte réalisé en 1950 par Joseph L. Mankiewicz, All About Eve (Tout sur Eve, justement), dont Tout sur ma mère ne rejoue la parfaite mécanique que partiellement. Car s’il était aussi question dans le film-programme de Mankiewicz du passage du temps (All About Eve est construit comme un enchâssement de sept récits en flash-back émanant de trois narrateurs, et “ la star ” incarnée par Bette Davis finit par disparaître sous les coups de l’armée immortelle des “ starlettes ”, en premier lieu la prétendante au trône Anne Baxter, dont le destin sera d’être évincée ou remplacée dans la dernière séquence par une rivale nouvelle, symbolisant le flux impersonnel du temps), la tonalité que lui donne le “ remake ” d’Almodóvar est très différente. Etrangement, la lutte des femmes ou la trahison des actrices – cette rivalité éternelle qui vire, dans la tradition populaire de la télé-novela ou du soap, au crêpage de chignon – cède la place dans Tout sur ma mère à une tonalité bienveillante et paisible, où les conflits, tous engendrés par la guerre des “ doublures ” (femmes et mères se partageant le même amant et géniteur (Cecilia Roth et Penélope Cruz), actrices convoitant le même rôle (celui, iconique, de Blanche dans Un tramway nommé désir de Tennessee Williams), s’éteignent à une vitesse stupéfiante. Voilà que les rivales, au lieu de s’entre-tuer, s’entraident ! Voilà qu’un enfant, portant de génération en génération le même prénom (celui d’un père dont il découvrira seulement la deuxième fois le visage de femme), passe de bras en bras jusqu’à être sauvé, de sa maladie héréditaire, par un miracle. On dira qu’il s’agit d’une fable : le genre du soap-opéra sauvé de la vulgarité (imposée par les contraintes télévisuelles) et de la mesquinerie (censée résumer la profondeur des relations humaines), non par l’intensité extrême de la tragédie comme le fit Douglas Sirk, mais par la modestie bariolée et paisible d’une intemporelle comédie. Alors le spectateur, sans crainte d’être floué par une quelconque roublardise (la force d’Almodóvar tient à son abandon ingénu au genre du soap), peut verser des larmes, moins en compatissant au destin, stylisé et comique, des personnages, qu’en partageant avec eux l’épreuve, impersonnelle et intime, du passage du temps. ”

Hélène Frappat
www.siteacrif.org