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Tout ce que le ciel permet

(All that Heaven Allows)


USA, 1955, 1h29, VOSTF, 35 mm
Réalisation : Douglas Sirk
Scénario : Peg Fenwick
Photographie : Russell Metty
Musique : Frank Skinner
Montage : Frank Gross
Interprètes : Jane Wyman, Rock Hudson, Agnes Moorehead
Distribution: Universal International Pictures



Veuve d’âge mûr, Carey Scott mène une vie terne et sans histoire dans une petite localité de Nouvelle-Angleterre, se consacrant au bonheur de ses deux enfants Ned et Kay, qui viennent d’entrer à l’Université.

Mais Carey rêve encore d’un grand amour. C’est dans cette disposition d’esprit qu’elle rencontre Ron Kirby, le séduisant pépiniériste - de quinze ans plus jeune qu’elle - engagé par ses soins pour s’occuper de son jardin...

“ Comme aimait à le rappeler Douglas Sirk, la distance entre le roman de gare et le grand Art est mince. All that Heaven Allows en est le plus bel exemple. L’intrigue est simple comme une chanson de Claude François : il est pauvre, elle est riche, il est jeune, elle est plus âgée, et malgré tout, ils s’aiment... Pourtant, loin de crouler sous la guimauve qu’impose un tel sujet, le spectateur se voit terrassé par cette histoire qui possède la force des grandes tragédies. Certains, sans doute trop cyniques pour se laisser emporter dans ces maelström d’émotions, ont voulu voir dans les films de Douglas Sirk une forme d’ironie, allant même jusqu’à les qualifier de comédies ! Or ce qui frappe à la vision de All that Heaven Allows, c’est justement cette absence de condescendance vis-à-vis du genre abordé. Sirk ne subvertit pas le mélo, il le pousse dans ses derniers retranchements afin de le sublimer. Tout est ici exacerbé : l’amour que partagent les deux personnages est aussi simple que fulgurant, et la mesquinerie de ceux qui tentent d’empêcher cet amour semble relever d’un complot universel et machiavélique... C’est que le cinéma de Sirk s’embarrasse peu de psychologie, et les sentiments qui habitent et les uns et les autres sont immuables, figés tel une maladie incurable. Il faut alors se battre, briser les barrières sociales et morales afin de vivre pleinement, au plus près de son âme. Et ce retour aux sources, ce chemin vers le cœur ne peut s’accomplir que dans la révélation de la beauté du monde. Et de la nature... Cette philosophie héritée de l’écrivain américain Henry David Thoreau (Sirk le cite directement en faisant de Walden, le livre de chevet du jeune jardinier interprété par Rock Hudson) donne à All that Heaven Allows des allures de fable.

Erick Maurel & Olivier Bitoun
www.dvdclassik.com

Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk

“ Jane Wyman incarne ici une veuve solitaire dont le quotidien morne alterne les réunions guindées avec un voisinage hypocrite et médisant et les visites de ses enfants le weekend. Aucune perspective de voir cet état de fait bouleversé, son seul prétendant (si on excepte les odieuses avances d’un homme marié) étant un ami de la famille recherchant plus une compagnie pour ses vieux jours qu’un nouvel amour. La passion va pourtant renaître de manière inattendue lorsqu’elle tombe sous le charme de son jardinier Ron Kirby (Rock Hudson), totalement différent de son entourage. Comme le soulignera un dialogue du film, Ron ne feint pas, il est. Ron n’essaie pas de s’adapter, il vit. Véritable homme des bois vivant en communion avec la nature, il a élevé cet idéal en philosophie de vie et n’a que faire de la bienséance de façade. C’est ce qui va séduire Jane Wyman et qui est souligné dès leur premier échange. Face aux quelques banalités que lui lance notre héroïne pour entretenir la conversation Hudson se montre taciturne et ne dissimule même pas son désintérêt. Pourtant il suffit qu’elle lui parle soudain des arbres pour qu’il s’anime, partage ses connaissances et sa passion tandis qu’elle est progressivement subjuguée par cet homme si différent, si authentique. Tout le film repose sur le chemin qu’aura à parcourir Jane Wyman pour se libérer des entraves si artificielles du regard de la communauté pour vivre son amour. Sirk oppose ainsi deux mondes de manières marquée. D’un côté Rock Hudson, chemise de bûcheron, débouchant les bouteilles de vin avec les dents et ses amis aux plaisirs simples et sincères en campagne. De l’autre les “ amis ” préférant l’enfermer dans une case bienséante où elle est malheureuse et prêts à fondre sur elle si elle daigne en sortir. Les plus intolérants s’avéreront ses propres enfants dont le conformisme se manifestera dans leur réaction face à la relation de leur mère. Plutôt qu’un compagnon de son rang et de son âge elle ose choisir une force de la nature juvénile, symbole d’un désir et d’une sexualité toujours active, et donc indigne pour eux.

Tout cela est bien sûr très marqué et pourrait être caricatural. Dans le Secret Magnifique la relative sobriété visuelle rattrapait l’extravagance du script. C’est l’inverse ici où des principes qui passeraient pour simplistes sont transcendés par l’image. La photo de Russel Metty dans ses teintes automnales irréelles, ses hivers d’un blanc immaculé fige cette nature dans une imagerie americana au classicisme (à la Norman Rockwell) magnifié par un Sirk imprégné de culture américaine classique dont il souhaite donner sa vision, celle dont il rêvait alors qu’il était encore en Allemagne. Aucun écueil n’est trop osé, comme l’arrivée irréelle d’un cerf dans le cadre lors de le la dernière scène. A l’inverse les séquences au sein de la communauté "huppée" sont plus sombres et marquées par des couleurs oppressantes, parfois plus bleutées qui envahissent même les espaces chaleureux telle l’entrevue du couple au moulin avant la rupture. Les éléments visant à briser cette harmonie idéalisée s’insinuent même de manière plus politiquement marquée avec cette cruelle scène (sans doute la plus touchante du film) où les enfants de Jane Wyman après l’avoir séparée d’Hudson et la délaissant ne trouvent comme réponse à sa solitude qu’à lui offrir une télévision. Celle-ci n’a plus qu’à contempler dans le reflet de l’écran sa mine défaite, tout a été perdu sous l’autel des apparences et elle est à nouveau seule mais de manière plus triste encore. Comme le souligne sans le savoir ironiquement le vendeur, elle aura la joie, l’amour et l’animation à portée de main... ”

Justin Kwedi
chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr)