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Fengming
Le Fossé
Entretien avec Alain Bergala autour des deux films
Fengming, chronique d’une femme chinoise & le Fossé
de Wang Bing
Entretien avec Alain Bergala
Voir Fengming avant est-il un préalable nécessaire à la vision du Fossé ?
Julien Rejl : Dans quel ordre avez-vous vu les films et dans quelles conditions ?
Alain Bergala : J’avais vu Fengming à Cannes, il y a deux ans, mais je n’avais pas vu le Fossé. Je l’ai vu très récemment, en DVD et en salle, avec Wang Bing, à l'Eldorado de Dijon. Je les ai donc vus dans la chronologie du tournage.
Julien Rejl : En tant que distributeur, je me suis posé la question de savoir, d’une part dans quel ordre les sortir – fallait-il respecter cette chronologie ou pas – et surtout, indépendamment de la simple question de chronologie, est-ce que la vision de l’un avait un impact sur l’autre et, si oui, dans quel sens était-il préférable de les montrer ? Pensez-vous que voir Fengming avant est un préalable nécessaire à la vision du Fossé ? Comment voyez-vous l’articulation entre les deux ?
Alain Bergala : Non, ce n’est pas un préalable, mais pour moi, il n’y a pas de mystère : l'ordre idéal, c’est Fengming d'abord et le Fossé ensuite, pour que l’on comprenne bien la genèse de création entre les deux. Mais dans une salle de cinéma ouverte sur un public qui n’est pas un public de spécialistes, il est clair que le Fossé est beaucoup plus facile à montrer à qui ne connaît rien à la Chine, ni à Wang Bing, que Fengming, à cause de la durée et de l'austérité radicale de ce documentaire. Je pense que Fengming est aussi passionnant que le Fossé. Les gens peuvent avoir peur, a priori, d'un film où l’on voit une dame qui parle pendant trois heures… Mais en réalité, lorsqu’ils sont dedans, ils sont dedans. Cette femme a un langage tellement précis, imagé, qu’il y a des scènes de Fengming que l’on a l’impression d’avoir vues, littéralement, plus que si elles avaient été filmées.
Marielle Millard : Moi, je les ai vus dans l’autre sens, justement à cause du problème de la durée, j’avais les deux DVD, j’ai choisi le plus court pour commencer et au contraire, cela m’a aidé dans la vision de Fengming parce que j’y ai vu justement, quand elle raconte, des images que j’avais vues dans le Fossé.
Alain Bergala : Oui, mais du coup ça bloque un peu l'imaginaire du récit raconté de Fengming. Tandis que quand on écoute, dans Fengming, par exemple, l’arrivée au camp de cette femme, on ne l'imagine évidemment pas comme elle est dans le Fossé. C'est particulièrement vrai du cimetière, je ne m’imaginais pas que ça ressemblait à ça : dans la fiction, c'est une sorte "d'installation", du "land art".
Fengming est d’abord un témoignage réel. Elle l’a vécu, il n’y a aucun doute sur la véracité de ce qu’elle raconte, mais son récit fonctionne plus comme un récit de fiction, déclencheur d'imaginaire, que la fiction elle-même.
« Certaines des scènes qu’elle raconte nous donnent l’impression de lire un livre : les images, les gestes, les lieux, toute est d'une précision et d'une économie d'évocation extrêmement précises. »
Marielle Millard : On a presque l’impression, lorsqu’on l’entend parler, qu’il y a un prompteur devant elle, tant son discours est fluide. Alain Bergala : Elle a quand même passé des décennies à repenser à cette histoire. On a l’impression que ce qu’elle dit est parfaitement en forme. Il n’y a aucune des hésitations habituelles de la parole hasardeuse mais une fluidité absolument incroyable. Parce que c’est sa vie et qu'elle est devenue écrivain pour la raconter, lui donner forme. Le fait d’avoir écrit lui donne un très grand souci de la forme. Certaines des scènes qu’elle raconte nous donnent l’impression de lire un livre : les images, les gestes, les lieux, toute est d'une précision et d'une économie d'évocation extrêmement précises.
Julien Rejl : Pensez-vous que le passage par le réalisme cinématographique qui est celui du Fossé sur le même sujet apporte quelque chose en plus à cette évocation de l’Histoire ? L’évocation parlée de Fengming, son récit et la narration, m'ont plongé d’une manière beaucoup plus vive et émotionnelle que les images du Fossé ont pu le faire, d'autant que Wang Bing a décidé d’adopter un réalisme très vériste dans ce dernier film. Il ne s’écarte pas du tout de la reconstitution réaliste, il rejoue les émotions des personnages. J’avais l’impression que la parole de Fengming, sur ce point, a un plus grand pouvoir d'évocation.
Le Fossé : l’héritier direct du cinéma de A l’ouest des rails
Alain Bergala : C’est un cas étrange, unique pour moi dans l'histoire du cinéma. Le Fossé est plus un documentaire que Fengming, dans le sens où dans le Fossé la fiction réside uniquement dans la narration. La fiction c’est l’arrivée de la femme, la recherche du corps. Mais la fiction est finalement très ténue, les événements fictionnels raréfiés. Au filmage, par contre, c’est un incroyable documentaire sur les corps, les matières, les voix, le paysage, la lumière. Par son mode de filmage, le Fossé ressemble énormément à A l’ouest des rails. C’est une fiction filmée en documentaire. Même si ce sont des acteurs, il les filme comme il filmait les ouvriers d’A l’ouest des rails et la fiction reste juste au niveau des événements. Sauf dans quelques moments précis où il y a des effets de découpage de fiction.
Catherine Bailhache : De dramaturgie ?
Alain Bergala : Oui. Quand l’homme est allongé et parle à son frère, on se dit « Mais il parle tout seul… » parce qu’il est isolé par le cadrage serré, mais après, quand Wang Bing change d’axe, on s’aperçoit que quelqu’un est en train d’écrire sous sa dictée. Quand on a le gros plan sur lui, on ne peut pas s'en douter, ça ce sont des effets de découpage, donc d’une certaine façon de cinéma. Il y a d’autres moments, un peu dramatiques, où il y a des effets de découpage cinéma, par exemple le moment où la femme comprend que son mari est mort et où Wang Bingi change d’axe, à 180°, et l’on voit qu'elle est en train de recevoir la nouvelle, de comprendre que son mari est mort. Ça, ce sont des effets de découpage cinéma. Mais c’est très discret. Pour raconter, il passe par là, discrètement, par quelques effets de découpage précis, rigoureux.
Finalement le récit de Fengming est pour moi plus narratif, presque plus fictionnel, parce que dans le Fossé, il a voulu rester au degré zéro de la fiction, du côté de la réalité. Même les couvertures : c’est très rare au cinéma, si l’on met en scène une situation comme celle-là, que l’on ne se dise pas « Tiens, les couvertures ont été faites aujourd’hui », ici on croit à tout ce qu’on voit. On croit à la réalité matérielle du décor, des vêtements… C’est très difficile au cinéma de faire croire que des vêtements sont sales, déchirés. Là, on est sûr que c’était comme ça. D’une certaine façon, il y a une évidence des matières qui relève du documentaire. Et en même temps il y a un souffle lyrique qui m'a fait plus d'une fois penser au grand cinéma américain classique. J'ai essayé d'en parler avec lui mais c'est difficile.
Il ne veut rien dire sur le fait que lorsque je vois ce film, je pense beaucoup à John Ford, je pense beaucoup aux Cheyennes. Dans tous les moments magnifiques au niveau du rythme et du cinéma pur où, alors qu'on est resté longtemps dans le trou, dans le terrier, tout à coup on sort et on arrive dans cet immense espace ouvert, où les figures se déploient, hébétées par autant de possibilités de trajectoires. La caméra aussi est comme déboussolée et ne sait plus si elle doit suivre les personnages ou s'arrêter et les laisser seuls face à cette liberté de se déplacer. Mais il faisait déjà ça dans A l’ouest des rails. Ce film est vraiment directement l’héritier du cinéma de A l’ouest des rails.
Dans ce film, déjà, quelqu’un était dans sa petite cahute, sortait, Wang Bing le suivait et l’espace s’ouvrait. Sauf que là, la dialectique de la boîte et de l’espace ouvert est au centre du filmage. Ici, au début, on est plutôt enfermés dans la boîte mais ensuite, chaque fois qu’on en sort, on a un effet cinéma très grand, un véritable "lyrisme de l'espace", alors que le reste est à ras du réel. Les ouvertures d’espace produisent un effet rythmique magnifique. C’est pour cela que j’ai beaucoup pensé aux Cheyennes. C'est la même histoire : dans les Cheyennes il s’agit d’un groupe d’hommes et de femmes… On n’a pas décidé de les exterminer, mais on les laisse mourir. On les met dans des conditions telles qu’on les laisse mourir. C’est le même sujet, celui d’une communauté qui meurt, sauf que dans les Cheyennes c’est parce qu’on les déplace, on les sort de leur territoire, et dans le Fossé ce sont des intellectuels, des citadins que l’on a déplacés de leur territoire et déposés dans un territoire où ils n’ont pas les armes pour survivre. Wang Bing dit que pendant cette famine les paysans ont quand même mieux survécu parce qu’ils avaient des petites choses à manger, tandis qu’eux, enfermés, loin de leur milieu de vie, ne pouvaient rien produire.
Marielle Millard : Le paysage n’est pas franchement hospitalier.
Alain Bergala : Non, mais on imagine qu’on peut cultiver quelques petites choses. Si c’étaient des paysans, ils auraient peut-être eu des poules, tandis qu’eux ne peuvent manger que ce qu’on leur apporte, et comme ils sont loin de tout, ils ne peuvent pas faire du troc, sinon entre eux et ceux qui sont des intermédiaires entre eux et le pouvoir. Il s'agit d'un camp de rééducation
et non d'un camp d'extermination ou de concentration
Marielle Millard : Sauf erreur, on ne voit pas leur gardien. On ne sait pas tellement quelle liberté d’action ils ont.
Alain Bergala : Ce n’est pas une situation de camp d’extermination ni même de camp de concentration. Les droitiers continuaient à appartenir à la même société, à la même idéologie que les chefs du camp : ils étaient là pour être rééduqués. Cela veut dire qu’ils appartenaient à la même communauté ; les nazis eux déportaient et exterminaient des gens avec lesquels il n’y avait plus aucun dialogue, aucune communauté. Tandis que les droitiers sont issus de la même société, issus de la même idéologie politique. On leur dit juste : « Camarade, tu t’es trompé et en travaillant tu vas comprendre tes erreurs et pouvoir rejoindre la communauté. » Ici, les bourreaux et les victimes appartiennent à la même société et d’ailleurs certains des droitiers l’acceptent et finissent par penser que « Oui peut-être ils ont mal pensé et que travailler va les aider à bien penser. » Pour nous, européens, on retrouve dans ce film des scènes qui ont été racontées exactement de la même façon par les gens qui sont revenus des Camps. L’histoire de la soupe où le type qui a la louche peut choisir de favoriser un prisonnier en lui donnant de la soupe épaisse ou au contraire ne donner que de l’eau à un autre. Le fait que la faim et le besoin physique de survie corporelle deviennent à un certain point plus forts que la solidarité morale et que si l’on peut manger la portion de l’autre, on le fait. La scène extrêmement violente, que jamais personne n’avait filmée, de l’homme qui vient manger les restes du vomi de l’autre, ce sont des choses dont on sait qu’elles ont existé dans les camps de concentration, le film équivalent, sur les camps de concentration, n’existe pas. Alors que le matériau existe pour faire un tel film sur les camps de concentration. Mais peut-être que justement ce n’est pas possible.
Julien Rejl : Ethiquement ?
Alain Bergala: Oui. L’extermination volontaire, planifiée des nazis fait que peut-être ce n’est pas possible de « raconter » ça dans un film de fiction européen. A Dijon, le public disait après Le Fossé : « On les a exterminés. » Wang Bing disait : « Non, les conditions dans lesquelles on les a mis, pour des raisons politiques, font qu’ils sont morts. »
Catherine Bailhache : On ne comprend pas forcément, nous. Notre culture prend toute la place.
Alain Bergala : C’est clair qu’ils ne les ont pas aidés beaucoup à survivre. On voit bien dans le film que ceux qui dirigent le camp mangent des nouilles à volonté. Eux se gardent de la nourriture. Ils ne veulent pas voir la réalité dont ils ont la charge. Dans le documentaire, il y a une scène assez dure quand la femme arrive, découvre que son mari est mort et va parler avec les chefs du camp. Cette scène était déjà racontée par Fengming dans le documentaire. Cette femme a perdu son mari, ils sont gênés mais ne savent pas quoi lui dire et tout à coup ils l’engueulent : après tout, c’était un droitier, il a eu ce qu’il méritait. Un tel dialogue de justification, même d’absolue mauvaise foi, serait impensable dans un film sur un Camp de concentration. Car fondamentalement ce n’est pas la même situation. C’est une chose qui me semble importante à préciser avant que les gens voient le film, pour qu’ils ne plaquent pas ce qu’ils connaissent sur ce qu’ils voient. Wang Bing est très clair là-dessus.
Dans le Fossé, il n'y a aucune volonté de discours didactique, ni même politique
Julien Rejl : Le contexte qui explique la politique anti-droitière est donné par Fengming, chronique d’une femme chinoise. Le Fossé, à part un carton d’entrée assez succinct, ne contextualisera jamais vraiment ce qui est montré, ne donnera pas les clés. J’ai l’impression que le film politique, c’est Fengming. Je ne sais pas si c’est pour des questions de censure, mais il y a dans le Fossé cette volonté tenace de rester, si je puis dire, et même si ça paraît paradoxal, dans quelque chose de très frontal. À votre avis, pourquoi est-il dans cette brutalité, dans cette frontalité dans le Fossé en épurant au maximum le contexte ?
Alain Bergala : C’est clair qu’il n’y a aucun didactisme dans le Fossé. On est plongé dans la situation. Au lieu de raconter les deux ans de ce camp, il en raconte les trois derniers mois, donc il fait un choix. On entre directement, sans scénarisation explicative, dans une histoire qui a commencé il y a presque deux ans, et qui arrive à sa fin. On peut attraper par-ci par-là des bribes d’informations mais il n’y a aucune volonté de discours didactique, ni même politique. Je le crois quand il dit qu’il n’a pas voulu faire un film politique, et je pense qu’il a eu raison. Parce que s’il avait fait un film politique, cela affaiblirait la portée du film. Si on se disait, «Wang Bing veut dénoncer ceci ou cela », ça aurait moins de force, puisqu’on se dirait, c’est du réel reconstitué pour porter un discours politique. Lui dit, et il le fait (parce qu’on peut dire une chose et ne pas la faire) : « Voilà, cette histoire-là en Chine est presque oubliée, on n’en parle plus, pourtant il y a beaucoup de fils de survivants, de parents, de familles concernées. Si on multiplie chaque personne qui a été enfermée par tous les descendants, cela fait beaucoup de monde aujourd’hui. Avant que cette histoire soit oubliée, je la montre, mais je la montre comme Rossellini. » Par rapport à cela, il est très rossellinien, c’est-à-dire on ne juge pas – il peut juger, lui, en tant que personne évidemment – mais le film, lui, ne juge pas, il n’a pas de visée politique directe, il montre ce qui s’est passé. Il regroupe tous les témoignages qu’il a trouvés, puisqu’il dit qu’il n’y a rien d’inventé, que tous les éléments du film lui ont été racontés par quelqu’un. Ce n’est jamais vrai jusqu’à 100 %. On est obligé, j’imagine, d’inventer, mais en tous cas, il a une posture morale très nette quand il dit : voilà, je veux juste montrer. Du coup, cette histoire-là ne sera pas effacée, on pourra la voir. Et il s’y tient avec beaucoup de force, parce que la tentation d’expliquer aux jeunes générations ce qu’ont été ces droitiers, et pourquoi le pouvoir les a envoyés dans ces camps de travail, a dû être très grande. D’autant plus qu’il sait que son film ne pourra pas sortir, pour le moment, en Chine, sinon par Internet ou par copies pirates.
« Si le projet cinéma du Fossé ressemble à quelque chose, c’est au Rossellini d’Allemagne, année zéro. »
Catherine Bailhache : Il fait quand même ce film pour les Chinois, à leur attention…
Alain Bergala : Oui, oui, mais la visée politique est totalement indirecte. Il dit qu’il est très effrayé par le fait que les jeunes Chinois pensent finalement plus à entrer dans la société de consommation qu’à se souvenir de leur passé proche, d’où ils viennent pourtant. Ils veulent au contraire l’oublier.
Catherine Bailhache : Dès le début, dans A l’ouest des rails, il est sur cette question.
Alain Bergala : Tout-à-fait, mais pour A l’ouest des rails, il a eu de la chance, si j’ose dire. Il va tourner dans cette région où jamais personne n’a amené une caméra, il ne sait pas que les fourneaux vont s’arrêter, mais du coup son film devient un incroyable témoignage sur une chose dont personne n’aurait jamais entendu parler : une région entière s’arrête parce que les usines ferment par décision politique centrale. Il filme, en direct, et par chance, un énorme événement pour une population. En France, on n’aurait jamais su un mot de ce qui s’est passé dans cette région de Chine sans ce film. Donc, peut-être que la chance qu’il a eue dans son premier film, il l’a théorisée pour lui-même, il s’est dit : « C’est ça qu’il faut faire. Ma fonction dans le cinéma de mon pays, c’est ça : montrer ce qui serait invisible ou oublié sans le cinéma. » C’est la raison pour laquelle quand il a dit qu’il voulait faire une fiction, tout le monde a eu peur. Est-ce qu’il va réussir le passage à la fiction ou pas ? Et puis, en fait, ce n’est pas une fiction, c’est quelque chose de neuf. Je ne connais pas d’équivalent dans l’histoire du cinéma… si, à la rigueur, Allemagne, année zéro. Rossellini a fait pareil, il s’est fait raconter plein d’histoires réelles qui venaient de se passer, il en a fait un patchwork et il nous dit : voilà, l’Allemagne, c’est ça, cette année-là, au sortir de la guerre, à Berlin. Si le projet cinéma du Fossé ressemble à quelque chose, c’est au Rossellini d’Allemagne, année zéro. La fiction tient au personnage d’Edmund, le jeune garçon, dont l’équivalent chez Wang Bing, est la femme. La fiction naît de l’arrivée d’un personnage dans un documentaire et ce personnage de la femme, c’est Antigone, un personnage tragique.
Wang Bing filme des choses qui ont l’air très austères, arides et puis il a une sensibilité physique aux lumières, aux fumées, aux poussières, qui fait que tout à coup ça passe à un autre niveau qui n’est plus la simple captation du réel. Alain Bergala : Après tout, le Fossé, Wang Bing aurait pu le faire sans l’arrivée de la femme dans le camp, mais à ce moment-là, ce serait du documentaire reconstitué. La fiction vient avec la femme et d’un seul coup le style bouge avec ce personnage. Lorsqu’elle sort et marche dans le vent, on est toujours dans du réel mais le spectateur sent bien que dans les mouvements de caméra, dans le suivi, dans la saisie de l’espace, arrive un lyrisme qui n’était pas possible dans le trou. Pour moi, l’une des beautés cinématographiques essentielles de ce film, ce sont les passages entre le terrier et le désert. Une très grande partie du cinéma fonctionne sur ce jeu entre la boîte et l’étendue. Mais ici c’est à l’état pur. Il est très fort aussi sur la lumière qui arrive de l’extérieur : on est dans le terrier et d’un seul coup il y a ces rayons de lumière, la poussière qui sont là et qui rappellent A l’ouest des rails. Wang Bing filme des choses qui ont l’air très austères, arides et puis il a une sensibilité physique aux lumières, aux fumées, aux poussières, qui fait que tout à coup ça passe à un autre niveau qui n’est plus la simple captation du réel.
Une des questions centrales de la mise en scène pour Wang Bing, c’est la distance à ce que l’on filme
Marielle Millard : Justement, par rapport à Fengming, que pouvez-vous nous dire du parti pris de Bing de, par exemple, laisser tomber l'obscurité jusqu’à ce qu’elle ne soit quasiment plus visible et aussi de ne pas avoir coupé ces moments où elle part aux toilettes…
Alain Bergala : En fait Fengming est aussi la fiction d’une journée. En réalité, cela ne s’est pas passé en une journée. Il a tourné deux journées, et ensuite il est revenu et a fait d’autres plans. Le plan du téléphone est arrivé un de ces autres jours. L’impression de continuité est une construction cinéma. La chronologie, y compris celle de la lumière, n’est pas celle du tournage, sauf évidemment le plan où la lumière tombe. Les scènes lorsqu’il change de point de vue, quand il la regarde de loin, n’ont pas été tournées le même jour. C’est pour cela qu’il y a aussi de la fiction dans Fengming.
Catherine Bailhache : Pas que de sa part à elle, donc. De sa part à lui aussi.
Alain Bergala : De sa part à lui aussi. La mise en scène est très importante dans Fengming. Une des questions centrales de la mise en scène pour Wang Bing, c’est la distance à ce que l’on filme. Dès A l’ouest des rails, il a le génie de ça. Dans ce film, par exemple, il y a souvent plusieurs personnes qui bougent, ou qui sortent d’une espace clos, il se dit « Lequel je suis ? », et quand il suit quelqu’un, « Est-ce que je reste à deux mètres, est-ce que je m’arrête et je le laisse partir au fond, est-ce que je le suis de plus loin ? », c’est-à-dire que le jeu de l’intervalle entre lui et les figures est un des éléments essentiels de sa mise en scène. Cela m’avait sidéré dans A l’ouest des rails car même dans le documentaire cela crée de la fiction. Par exemple, lorsque la caméra s’arrête alors qu’elle était en train de suivre quelqu’un et le laisse partir cela crée de la fiction dans le rapport du cinéma à ce personnage. Quand il suit quelqu’un qui sort d’un espace clos et arrive dans un espace ouvert où il choisit de s’éloigner, que va faire Wang Bing ? Va-t-il le suivre ou pas, va-t-il s’agencer à lui ou rester à distance, va-t-il le laisser partir ou le suivre un moment et puis décider de ne pas aller plus loin et le laisser s’éloigner ? C’est un maître dans ce domaine, et que ce soit le documentaire ou la fiction, c’est exactement la même chose, le même style.
Contrairement à ce qui se dit parfois un peu vite sur ce film (Fengming), ce n’est pas un seul plan, il y a même beaucoup de tailles différentes de plans sur elle, un vrai découpage avec changements de cadres.
Alain Bergala : Ce qui me plait beaucoup dans le Fossé, c’est que, dans ces moments-là, c’est autant intuitif que dans le documentaire. Dans le documentaire, après tout, il est obligé de choisir dans l’instant là où il se place. Dans le Fossé non, mais l’effet est le même, on a l’impression qu’il se remet, lui, dans des conditions où il faudrait qu’il décide dans l’instant s’il suit ou pas le personnage qui s’ éloigne dans l’espace ouvert.
Catherine Bailhache : Il en parle de ça, lui ?
Alain Bergala : Pas trop, non. Je n’en ai jamais parlé avec lui. Mon histoire avec Wang Bing est ancienne. J’avais été invité au jury du festival de documentaire de Yamagata au Japon et le directeur me téléphone et me dit « Cette année, ça va être dur parce qu’il y a un film de neuf heures. » Comme pour dire : « Si vous avez peur, ne venez pas. » Je lui dis : « Non au contraire. » Bing était un absolu inconnu. Et donc j’arrive au festival, là le directeur me dit que je serai président du jury, donc plus de responsabilités. On voit beaucoup de bons films et puis arrive A l’ouest des rails, tout le monde dans le jury se dit « Waouh, neuf heures…on va en baver. » Bon, évidemment, on était tous transportés. On était très contents, le soir, d’avoir vu ce grand film et il n’y a pas eu la moindre hésitation, alors qu’il y avait de très bons films en compétition : c’était ce film-là qui méritait le grand prix. Au Japon, les prix sont très importants, parce que c’est pas mal d’argent et c’était très important pour Wang Bing de pouvoir bien finir son film. Le choc pour moi, ce jour-là, c’est le sentiment de n’avoir jamais vu au cinéma un rapport comme ça entre le cinéaste et ce qu’il filme. Depardon un peu, à l’époque de San Clémente : il y avait plein de « fous » dans l’asile, puis il y en avait un qui bougeait et il le suivait. Puis après il s’arrêtait, le côté chat qui regarde, ça y était un peu chez Raymond aussi. Chez Bing, on a l’impression que la décision est une décision ferme : « Là, je ne vais pas plus loin, je le laisse partir. Là, je me rapproche. » C’est un trait de très grand cinéaste, pour moi, cette spécificité de son style. Et j’étais très content dans le Fossé, de retrouver ça. Mais dans Fengming , la caméra est sur pied.
Julien Rejl : Il commence quand même par la suivre.
Alain Bergala : Il fait ce plan-là parce qu’il a besoin de relier ce qu’il va entreprendre, ce long entretien chez cette femme, à son cinéma d’avant. Contrairement à ce qui se dit parfois un peu vite sur ce film, ce n’est pas un seul plan, il y a même beaucoup de tailles différentes de plans sur elle, un vrai découpage avec changements de cadres. Il y a une chose très troublante, au moment où elle raconte l’épisode le plus douloureux et pathétique, celui de son arrivée au camp, c’est le plan le plus serré sur elle. Je lui ai dit : comment tu fais ? Il m’a dit que comme elle racontait dans la chronologie, il savait un peu à l’avance l’épisode qu’elle allait raconter. Et du coup, là, il savait qu’il fallait être très près, presque en gros plan, et faire le cadre le plus serré sur elle. Fengming n’est pas un plan-séquence, loin de là. Il y a beaucoup de plans et beaucoup de changements de taille des plans. Au centre de cette mise en scène, son principe du rapport à l’autre. Ici il choisit la frontalité et la fixité de la caméra sur pied car, dit-il dans un entretien, « J'étais comme quelqu’un qui va écouter un ancien » et à qui il doit le respect. La caméra est devant cette femme avec un très grand respect, une très grande écoute, une grande attention à tout, aux gestes, aux plus petits déplacements.
Là, il n'y a pas de dénégation, il y a l'oubli entretenu. Le film de Wang Bing travaille contre cet oubli, pas contre un tabou.
Catherine Bailhache : Wang Bing savait-il déjà que Fengming allait lui servir de personnage dans le film suivant, ou pas ?
Alain Bergala : Non, le Fossé est un projet ancien. Après A l’ouest des rails, quand il est venu à Paris invité par la Cinéfondation, il m’avait déjà raconté le Fossé. Cela a été très long de faire ce film, très compliqué parce qu’il fallait tourner clandestinement, il y a quand même beaucoup d’acteurs dans une zone éloignée de tout, c’était galère, c’était vraiment un film très difficile à monter en termes de production. En fait, je pense que si les autorités avaient voulu l’arrêter, le film aurait arrêté. Il explique très bien que ce qui s’est passé à cette époque-là, avant la Révolution culturelle, n’est pas tabou en Chine, les autorités officielles l’ont reconnu. Il n’y a pas de blackout sur les camps de rééducation, ils disent juste, « On est allés trop loin. ». Mais le fait de dire, « On est allés trop loin, on en a trop emprisonnés, il y en a qui ne le méritaient pas », veut dire que les autorités chinoises reconnaissent que cela a eu lieu, qu’il y a eu des morts… Il n’a pas demandé l’autorisation, parce qu’on lui aurait dit non. S’il entreprenait un film sur la révolution culturelle, là sans doute on l’en empêcherait. Je suppose qu’ils l’ont un peu su et qu’aujourd’hui évidemment ils connaissent l’existence de ce film. Ça fait partie de l’hypocrisie de tous les systèmes politiques. Finalement son film se contente de décrire quelque chose, c’est pour ça qu’il est très fort. En faisant un film sur le mode de la description, on ne peut lui dire c’est un film politique contre le pouvoir.
Marielle Millard : Quand même dans Fengming, quand elle raconte, c’était assez pervers cette histoire, parce qu’on les incite à critiquer la bureaucratie et que c’est à la suite du texte qu’il a écrit que son mari est envoyé en camp.
Alain Bergala : Oui, mais ça c’est une drôle d’histoire. Wang Bing en parle très bien de ce moment où le parti a décidé qu’il fallait donner la parole à tout le monde. L’idée c’était que tout le monde a le droit de critiquer. Ce n’était pas au départ une ruse du pouvoir pour se débarrasser de ceux qui allait être désignés plus tard comme « droitiers ». Il y a eu un moment, j’ai envie de dire, de relative sincérité de la part de Mao, c’était de dire : on va un peu secouer tout ça, allez-y, critiquez parce que la révolution s’encroûte. Sauf que c’est parti très vite et c’est allé très loin. D’un seul coup, il y a eu un retour de bâton. Ils avaient ouvert la boîte de Pandore. Et quand ils ont vu le danger que cela représentait, ils l’ont vite refermée en envoyant les droitiers dans une autre boîte qui était les trous dans la terre. Wang le raconte très bien : il dit que la Révolution culturelle, ce n’est pas du tout le même processus. Elle est née d'une manipulation d’une fraction du parti pour abattre une autre fraction du parti. La révolution culturelle a été une affaire politique due à des contradictions au sein du pouvoir, alors que ce qu’il raconte là, non. Mais la seule chose qu’ils aient dite après, c’est qu’ils n’y étaient pas allés de main morte. Mais pas que cela n’avait pas existé. Tandis que pour les morts de la révolution culturelle, il y a dénégation. Là, il n’y a pas de dénégation, il y a de l’oubli entretenu. Le film de Wang Bing travaille contre cet oubli, pas contre un tabou.
« Il aurait pu engranger vingt récits, faire un film patchwork, mais il décide que c’est mieux de ne filmer que Fengming et il a raison »
Catherine Bailhache : Pour revenir à l’autre question, le Fossé, il l’avait en projet depuis très longtemps puisqu’il vous l’a raconté il y a longtemps. Fengming il l’a rencontrée ensuite. Il décide de la filmer parce qu’il a une occasion de production, mais en même temps, s’il l’a choisie, elle, parmi tous les gens qu’il rencontre, est-ce parce qu’il avait déjà décidé d’inclure son personnage dans le film ?
Alain Bergala : Je ne pense pas. Il raconte très bien. Il s’est dit : « Pour faire un film comme ça, je n’ai pas le droit d’inventer. Donc je vais d’abord aller rencontrer les survivants, il y en a beaucoup, je vais les interviewer. », et certains il les a filmés, ce qui constitue des archives maintenant de la préparation du Fossé. Quand il était à Paris, il n’avait rencontré encore personne, mais il avait trouvé ce livre qu’il a adapté, dans lequel il y a des novellisations de faits réels et écrites sous forme de fiction pour ne pas être interdit. Il a déjà ce livre à Paris mais il n’a pas encore rencontré directement des gens qui ont vécu dans les camps. Quand il revient en Chine, il a une ébauche du scénario. Je me souviens très bien qu’il m’avait raconté l’histoire Il m’avait dit : « Voilà je vais raconter l’histoire d’un groupe d’intellectuels qu’on a amené dans le désert pour rééducation et ils sont morts à cause de la famine. » La structure y était. A ce moment-là, il passe trois ans à rencontrer des gens. C’est comme des réseaux, l’un l’amène à l’autre. Mais à ce moment-là, il ne sait pas qu’il va filmer Fengming. Pour le moment, pour lui, ce sont des recueils de témoignages. Il ne veut pas faire un film de ça. Il veut juste avoir du matériau pour asseoir sa fiction sur du réel. Et c’est là qu’il rencontre Fengming qui a déjà fait ce travail de mémoire. On le voit bien à la fin, au moment du coup de fil, elle est elle-même dans un réseau. Il fait le choix, avec elle, de la filmer et qu’il ne filmera qu’elle pour en faire un film document. Il aurait pu faire un film en filmant tous les survivants rencontrés avec sa caméra, parce qu’il peut filmer facilement. Il aurait pu engranger vingt récits, faire un film patchwork, mais il décide que c’est mieux de ne filmer que Fengming et il a raison. Parce que sinon, ça fait enquête. Là, cette femme, on est avec elle, chez elle. Comme elle a le temps de raconter, on mesure ce qu’elle a traversé, et elle est vraiment exemplaire parce qu’elle a tout traversé : les camps de rééducation des droitiers, la révolution culturelle, les réhabilitations, les retours… et du coup, il tient quand même un personnage exemplaire.
Finalement, pour préparer ce film – mais je ne lui ai pas dit - il applique exactement un des mots d’ordre de Mao qui disait : « Enquêtez d’abord ! »
Ce qui me frappe, c’est que pendant que ceci se passe en Chine en 1958, 1959, 1960, en France c’est le début de la Nouvelle Vague. C’est A bout de souffle. Le synchronisme entre Godard tournant A bout de souffle et les intellectuels chinois en train de mourir de faim dans les camps, est vertigineux. Ca me touche d’autant plus qu’aujourd’hui, lorsque j’entends Wang Bing qui parle des jeunes générations amnésiques de leur passé proche, ils sont exactement comme étaient les jeunes Français en 59, 60 qui ne voulaient plus rien savoir de la guerre, de la résistance. Il se passe aujourd’hui dans une partie de la population jeune de la Chine, ce qui se passait pour les jeunes Français en 59, 60 sur l’amnésie volontaire, c’est-à-dire : « On ne va pas se trimballer ça toute notre vie, on est nés après, on ne veut pas le savoir. » Julien Rejl : Dans un entretien, un journaliste essaie de faire le parallèle infructueux avec Shoah de Lanzmann et lui répond que son modèle c'est davantage le Eustache de Numéro zéro. Est-ce que vous faites également le parallèle ?
« Le cinéma est fait d’abord pour capter ce qui est devant la caméra, le plus sèchement possible. Tout ce qui est des intentions, du sens construit, de la mise en scène, c’est beaucoup moins important. La morale de Wang Bing, c'est la morale d'Eustache et de la morale de Rossellini. »
Alain Bergala : Oui, c’est l’affirmation fondamentale que le cinéma est fait d’abord pour capter ce qui est devant la caméra, le plus sèchement possible. Tout ce qui est des intentions, du sens construit, de la mise en scène, c’est beaucoup moins important. La morale de Wang Bing, c’est la morale d’Eustache et de Rossellini. Il est dans cette lignée morale. Qu’est-ce-que c’est que filmer ? Et là, effectivement, il y a la même distance, la même attitude. C’est beau parce que, dans Fengming, il se tient à distance, en position respectueuse, et en même temps on sent quand même l’empathie, parce qu’elle est réelle. Comme quand Eustache est face à sa grand-mère. On voit bien qu’il est concerné, même si la caméra ne bouge pas. C’est la magie du cinéma, on voit bien que ce n’est pas une caméra inhabitée.
Catherine Bailhache : C’est même une des choses très intéressantes chez lui : ça rejoint ce que nous disions sur le fait qu’on s’intéresse toujours à ce qu’il attend, et à la manière dont il va y aller.
Marielle Millard : C’est vrai qu’on est impressionné par la qualité du silence. Il ne la relance jamais.
Alain Bergala : On comprend par elle qu’il a une relation avec elle avant la tournage, parce qu’elle l’interpelle et lui reste toujours impassible. Il ne bronche pas, il reste dans sa posture : je filme et c’est tout. Il reste radicalement eustachien.
Julien Rejl : La mise en scène de Fengming me fait penser à celle de Journal d'un curé de campagne de Bresson dans lequel la littérature traverse le cinéma par la biais d'un montage entre image et son. Schématiquement, l’image c’est le cinéma (l'enregistrement), et la parole c'est la littéraure (le récit). Comme vous, je résiste à catégoriser Fengming comme un documentaire. Fengming s’approprie tellement la fiction de son passé, elle l'inscrit dans sa propre temporalité et rappelons-le encore une fois, à partir d’un matériau qui préexiste qui est ce fameux livre. J’ai l’impression qu’il filme un livre, une écriture. Alain Bergala : Oui. Une femme-livre. A cause de la façon impeccable dont elle parle. Ce que j’aime beaucoup dans le film, c’est que l’essentiel, c’est ça, ces phrases déjà construites mais qu’il y a aussi l’intérieur, le canapé, sa façon de bouger ses mains sur son visage, ses lunettes. La présence corporelle de cette femme contrebalance l’idée de livre, c’est aussi un corps qui parle. Et puis sa voix. Nous l’entendons d’autant mieux que nous ne comprenons pas le chinois. Sa voix, ses silences, il y a une présence physique de cette femme qui, sur la durée, est formidable. Du coup, on s’habitue à elle, puis il fait nuit, elle allume et d’un seul coup, on la revoit autrement. On a tout le temps d’imaginer la jeune femme qu’elle était à l’époque. Et dans le dossier de presse il y a la photo, mais pas dans le film bien sûr !
Wang Bing a créé une morale et une esthétique à lui, grâce à la caméra DV, et il a été le premier.
Marielle Millard : Vous disiez, quand vous avez vu A l’ouest des rails que c’était un film qui ouvrait une nouvelle ère pour le cinéma.
Alain Bergala : Oui, parce que c’était un moment historique particulier par rapport au DV, par rapport aux petites caméras.
Catherine Bailhache : Oui, je me souviens de ça. Vous aviez entamé un article en disant « Je viens de voir enfin un film qui appartient complètement à l’ère du digital et qui est un grand film. »
Alain Bergala : C’était une époque où l’on parlait beaucoup des petites caméras et moi, tout ce que je voyais, en gros, je me disais que ça aurait pu être fait en 16. Il y a eu beaucoup d’hystérie sur cette histoire des petites caméras. Une sorte de mystique à quatre sous sur le rapport de proximité aux acteurs, sur une nouvelle esthétique, tout un baratin que je ne voyais pas dans les films. Et du coup, là, je me suis dit, « Ça y est. » Ce film de neuf heures fait par un homme seul, pendant des mois et des mois, c’ était l’entrée dans une nouvelle ère. Là il y avait quelque chose qui n’aurait absolument pas été possible avant les petites caméras numériques. C’était clair pour moi qu’il avait tout trouvé d’un coup : l’esthétique, la façon de gérer l’intervalle, d’être libre de toute attache, de ne pas avoir à charger des boîtiers, des chargeurs de caméra, parce que c’était impossible. Même Depardon n’aurait pas pu tourner A l’ouest des rails avec une caméra 16. L’esthétique du film… déjà je pensais à John Ford au moment d’A l’ouest des rails : il avait compris qu’avec une petite caméra et son corps sans prothèse, on pouvait être aussi lyrique qu’avec une grue hollywoodienne. Il a réellement créé une morale et une esthétique à lui, liée à cet outil, et il a été le premier.
Le parcours de Wang Bing Catherine Bailhache : Je me souviens qu'au moment de la sortie de A l’ouest des rails, j’avais compris à l’époque que déjà à cet âge-là – il avait quoi ? trente ans, trente-trois ans… – , ayant fait ce film, il était déjà dans un projet global unique. Ce n’est pas seulement neuf heures qu’on a vu arriver, c’est neuf heures plus un projet de cinéma. Et il tient le cap.
Alain Bergala : En Chine aujourd’hui, le pouvoir a évidemment besoin de cinéastes talentueux. Et ils voient que Wang Bing intéresse beaucoup l’étranger, les festivals. Du coup, je suppose que s’il avait voulu se vendre un peu, il aurait pu tourner avec des gros moyens, des grands acteurs. Mais ce n’est pas le choix qu’il a fait. Tant que la Chine est ce qu’elle est, je pense qu’il ne le fera pas. Il préfère la voie aride qui fait qu’iI a mis six ans à faire le Fossé.
Catherine Bailhache : Il est très déterminé, quand même, sous un coté très doux…
Alain Bergala : Il faut une force de caractère incroyable.
Marielle Millard : Il vit de quoi ?
Alain Bergala : Il y a de plus en plus d’endroits dans les festivals où l’on aide les cinéastes. Comme Rotterdam qui donne de l’argent pour des projets. Ce sont des bourses, des petites fondations attachées à des festivals. Par contre il a 100 % besoin de l’Occident. En Chine, il ne pourrait pas produire ses films. Heureusement que très vite, il y a plein de lieux et de gens qui l’ont repéré et qui l’aident. Il a commencé avec la Cinéfondation, mais après, très vite, il y a eu Rotterdam, qui a joué un rôle très important dans le montage d’A l’ouest des rails. Le premier prix du festival de Yamagata représentait pas mal d’argent. Avec des petites bourses, on est à l’aise lorsque l’on vit en Chine. Les prix pour s’habiller, se loger, manger, ne sont pas comparables. Un petit salaire européen permet de vivre relativement bien.
Catherine Bailhache : Entretient-il des relations avec d’autres cinéastes, chinois ou pas ?
Alain Bergala : C’est un solitaire. Qu’il ait fait un film à sketchs avec d’autres ne signifie pas qu’il entretient des relations avec les cinéastes. C’est quelqu’un qui est très intérieur. Pas renfermé, parce que quand il parle, il aime beaucoup ça, mais il a un sens de sa place : « Qu’est-ce-que je dois faire à mon âge dans la Chine d’aujourd’hui ? »
Catherine Bailhache : Un concours de circonstance l’amène dans la région de Tie Xi Qu, il comprend que c’est énorme, il décide de rester !!?
Alain Bergala : Lorsqu’il sort de l’école de cinéma, il écrit un long métrage de fiction. Il veut entrer dans le système. Heureusement que cela n’a pas marché. C’est la découverte de Tie Xi Qu qui a tout révolutionné. Pendant les longs mois où il tourne A l’ouest des rails, son film n’a aucune chance d’exister. Il faut y croire seul, avec sa compagne, puisqu’il n’y a personne qui attend son film, il accumule un nombre d’heures de rushes invraisemblable. Au moment où il filme il ne sait même pas où ça l’emmène. Là, il faut de la force de caractère. Il n’a pas un rond. Il a eu beaucoup de chance parce que la caméra a tenu bon. C’était une caméra amateur, il a tourné dans des conditions de froid et sa caméra ne l’a pas lâché. Ce sont des petits objets qui ne sont pas faits pour tourner dans des conditions extrêmes. Elle n’est jamais tombée en panne. Il a eu, au début de sa carrière quelque chose de déterminant pour prendre ce chemin.
Catherine Bailhache : Souvent les gens deviennent ce qu’ils sont parce qu’ils ont un passé, une enfance qui va orienter un minimum leur personnalité, savez-vous quelque chose de cela, le concernant ?
Alain Bergala : Il est né dans un village, son père était architecte et sa mère était paysanne. Il est un peu sur les deux registres, architecte et paysan. Il sait ce qu’est la vie à la campagne en Chine. Il a vécu ses premières années à la campagne, il a vu le travail de la terre. Le petit film sur les Correspondances de Barcelone est magnifique : il arrive dans ce village de haute altitude, comme un Las Hurdes chinois, il observe, il y a déjà là les petites filles sur lesquelles il va faire son prochain film.
Catherine Bailhache : Vous pouvez nous parler de son prochain film ?
Alain Bergala : C’est un film sur ces villages de montagne, sur ces petites filles qui vivent dans un village. Ce sera plutôt un documentaire.
Marielle Millard : Ses films sont-ils diffusés ailleurs dans le monde et où ? En dehors des festivals, ont-ils une visibilité ?
Alain Bergala : C’est quand même en France. En France, ses films vont aussi en province. J’imagine mal qu’en Italie, ou ailleurs en Europe, ses films soient vus en dehors d’un festival, dans des salles normales. La France est quand même un endroit très privilégié de ce point de vue-là.
Catherine Bailhache : Ces films ne sont pourtant pas assez montrés…
De l'intérêt de voir ensemble les deux films
Alain Bergala : Evidemment Fengming, c’est très difficile à montrer.
Catherine Bailhache : C’est drôle, depuis le début vous le dites. Les avis sont très partagés, en fait, sur cette question-là. Le plus difficile pour chacun, c’est l’appréhension pour soi-même (et du coup pour les spectateurs potentiels à qui on chercherait à les montrer) de devoir voir les deux films. Alors qu’au fond, voir les deux a quand même un sens.
Alain Bergala : Oui, ça, on n’en a pas assez parlé.
Catherine Bailhache : Peut-être faudrait-il développer un peu. Le fait qu’on puisse dire que celui des deux films qui est officiellement un documentaire ne l’est pas tant que ça, et que, parallèlement, la fiction n’est pas… il y a ce côté en miroir. Mais il n’y a pas que ça : c’est tellement intéressant que ce soit Fengming qui serve d’élément fictionnel, qui fait jouer de la fiction dans le documentaire… Il y a sûrement plus à en dire, en effet.
Alain Bergala : Bien sûr. D’abord, en cherchant, je ne trouve pas d’autre exemple. Ça aurait pu exister, si, par exemple, à partir de Shoah, Lanzmann avait fait une fiction, très concrète, de description d’un camp. D’ailleurs, j’aimerais beaucoup savoir ce qu’il va penser du film. Là, tous ses arguments contre la fiction s’effondrent. L’argument qui consiste à dire : on n’a pas le droit de faire fictionner les camps, s’effondre. Il n’y a aucune objection morale possible par rapport au travail qu’a fait Wang Bing. Je pense qu’il est très important de voir les deux parce que déjà l’autre jour, j’ai vu le public de Dijon qui n’avait vu que l’un ou que l’autre. Ceux qui n’avaient vu que le Fossé disaient « Mais c’est invraisemblable cette femme qui arrive à pied, toute seule, de nulle part », et du coup, on leur disait « Voyez Fengming, c’est ce qu’elle a fait, elle est partie, elle ne connaissait même pas la route. La nuit tombe, elle ne sait même pas qu’il y a des loups. » Là pour le coup, la réalité est plus fictionnelle que la fiction.
Catherine Bailhache : Dans la réalité, elle passe un long moment dans un camp, tandis que lui est dans un autre. Les lettres s’espacent. Elle décide à un moment d’y aller et elle arrive juste après sa mort. On se dit que ce n’est pas possible, et bien si. Ça ne doit absolument pas paraître plausible quand on est du côté de la fiction...
Alain Bergala : C’est lié à notre imaginaire des camps de concentration. C’est totalement invraisemblable qu’une femme puisse débarquer dans un Camp de concentration nazi. Après tout, c’est une citoyenne chinoise et eux ne sont pas des condamnés. Pour ces gens, il n’y avait pas eu de jugement, c’était un accord presque commun des Chinois qui disaient que « Quand on s’est trompé, on va se rééduquer ». C’est ce que les spectateurs français ont le plus de mal à comprendre.
Catherine Bailhache : C’est certainement juste ce que vous dites, mais, en même temps, on ne peut pas s’empêcher d’évoquer les moments que relate Fengming elle-même, sur le temps considérable où son mari est interrogé. Il est quand même coincé, il a le dos au mur, c’est pour cela qu’il va être envoyé dans le camp, il n’a pas vraiment le choix.
Alain Bergala : L’autocritique venait à l’intérieur des entreprises. Imaginez que vous alliez dans une entreprise de Francetélécom ou d’EDF et que vous disiez « Allez-y, critiquez vos collègues », imaginez les haines. Quand c’est autorisé par l’Etat… du coup, il y avait des bouc-émissaires. Ce n’était pas le pouvoir central qui disait « Lui, vous le virez. » Ça se réglait par entreprise, par zone, par petits groupes humains, où là les haines sont toujours prêtes à sortir.
Catherine Bailhache : Ce n’était pas institutionnel, et cette distinction est fondamentale.
Alain Bergala : Elle est fondamentale, sinon on ne comprend pas le film.
Catherine Bailhache : Et elle explique qu’une femme puisse arriver, être reçue, rencontrer des gens qui ne sont pas des prisonniers, alors que nous apportons notre propre histoire, qui vient se superposer comme un calque. On applique à cette situation des situations que nous connaissons, nous. Si Wang Bing n’a pas comme propos de nous imposer un point de vue, néanmoins, il nous oblige à réfléchir à ça.
Alain Bergala : Donc, pour ceux qui avaient vu Fengming, ils trouvaient normal que la femme arrive. Puisqu’ils avaient eu le contrechamp. Là, on voit qu’il fait un travail de cinéaste qui part du réel pour construire sa fiction. Dans Fengming, elle comprend que son mari est mort et elle renonce très vite à voir le corps. Elle part, elle n’insiste pas. Elle reviendra des décennies plus tard. C’est très beau, dans son récit, quand elle va dans ce cimetière, si on peut appeler cela un cimetière, qu’elle soulève les pierres, qu’elle comprend que jamais plus elle ne retrouvera le corps de son mari et qu’elle fait avec son fils une cérémonie dans un coin de ce champ parce qu’il est là quelque part. C’est incroyablement beau dans son récit. Et Wang Bing, comme il ne raconte que trois mois dans le Fossé, il ne peut pas filmer cette scène des années après, comme ça s’est passé, mais il sait aussi que cette femme qui marche dans l’espace ouvert et qui erre dans les tombes, c’est du cinéma. Du coup, il condense ces trente ans en deux jours, il la fait chercher, et lui, avec sa caméra, il la suit en train de chercher. Comme dans le film, on a appris avant son arrivée qu’il y a du cannibalisme, on sait que les autres l’ont empêché d’aller trouver le corps de son mari, parce que, sans doute, il a été mangé en partie, du coup, là il y a un effet de suspense incroyable, est-ce qu’elle va le trouver, dans quel état ?
Wang Bing et Eustache
Catherine Bailhache : On parlait d’Eustache tout à l’heure… Dans un autre registre, cela me fait penser à Une sale histoire : un récit, suivi d’un autre récit aussitôt après, le même en fait, et nous, spectateurs, on fonctionne sur les redites. Ce que je trouve intéressant, c’est que dans le film d’Eustache, on voit d’abord la version fictionnée et on voit ensuite ce que l’on suppose être plutôt le documentaire, le réel. A l’époque (1977), quand j’avais vu Une sale histoire, ce qui m’avait travaillé tout le long du visionnage de la deuxième partie, c’était de constater à la fois que ma compréhension intellectuelle personnelle me conduisait à penser que le premier récit était fictionné tandis que le deuxième était plus que probablement vrai, c’est-à-dire arrivé à la personne qu’on voyait raconter l’histoire. Et que, même si j’avais conscience de la mise en récit, je m’agaçais de voir que, dans la “deuxième” version, dans l’ordre de visionnage, tout n’était pas identique, des mots étaient inversés par exemple, comme, à un moment, la bière et le thé1… Bref ! je relevais des erreurs, je m’indignais de ne pas reconnaître exactement le texte. Parallèlement, je réalisais qu’en fait, j’étais bien comme tout le monde, je prêtais foi à la première personne qui me racontait un récit, le dispositif d’Eustache ne venait pas à bout de ce réflexe. Bien que le deuxième récit ait toutes les apparences du “vrai”, du documentaire, le fait d’avoir vu et entendu une première version, même fictionnée, à l'évidence, me conduisait à mettre en doute la vérité de la deuxième version dès que le texte ne collait pas mot pour mot ou que les réactions de certains témoins différaient de la première vision. Et ce que je trouve intéressant cette fois, c’est que ce phénomène ne se produit pas. Quand on voit le Fossé en deuxième partie – même si j’ai éprouvé un peu d’ennui lors de la relation des épisodes connus de l’histoire – on est sûr, grâce au film vu avant, Fengming, que le travail documenté – documentaire – a été fait partout. Dans le Fossé, les parties que je connaissais donnaient du corps, du réel, à tout le reste. D’autre part, après avoir vu Fengming, quand, dans le Fossé, Wang Bing fait un travail dont je vois que ce n’est pas exactement conforme à la réalité, je devrais normalement, comme dans le cas du film d’Eustache, m’énerver de voir qu’il n’a pas exactement respecté le déroulement des choses. Pourtant, pas une seconde je n’ai éprouvé cela : je me rends compte qu’en fait, j’étais dans l’idée que c’était sans doute les morceaux d’autres histoires, toutes aussi vraies. Il a pris ouvertement des libertés d’agencement, ce que j’ai implicitement admis. Sur la question du documentaire et de la fiction, là où il est fort c’est qu’il arrive à faire en sorte qu’un spectateur comme moi ne soit pas dans ses réflexes habituels. Il arrive à déjouer ce phénomène, à m’empêcher de jouer ma propre censure…
Alain Bergala : Oui, oui, ça me plait bien la comparaison avec Eustache. Il y a la même impossibilité avec ces deux films de décider platement : l’un est du documentaire et l’autre de la fiction. Dans les deux cas, c’est impur. Dans les deux cas, il y a de la fiction dans les deux films. Dans les deux cas, il y a du documentaire. Avec Eustache aussi. C’est bien comme comparaison de questionnements parce que ce sont les mêmes. C’est aussi radical. Mais Eustache affirmait sa radicalité : regardez, j’ai fait ça. Tandis que Wang Bing, c’est plus discret et modeste. La radicalité, ce n’est pas sûr que les gens la verront. En tout cas, pas tout de suite.
Catherine Bailhache : J’imagine que Wang Bing a intégré que ce qui est un tout sera vu de façon morcelée, parcellaire ?
« Ce qui l’intéresse, c’est les communautés, les groupes. Comment un groupe survit aux catastrophes. » Alain Bergala : Dans la lettre de Wang Bing à Rosales, on voit dans ce village des gens qui vivent comme dans Las Hurdes. Ils ne mangent que des pommes de terre, ils ont des cochons, mais ils ne les tuent qu’une fois par an, ils vivent dans la boue. S’il n’y a pas de pommes de terre, il n’y a rien. Chaque fois qu’il fait un film, c’est comme si Wang Bing ajoutait une pièce en relation avec les autres. Apparemment l’histoire de ce village n’a aucun rapport avec le Fossé, mais ça en a pourtant un très fort, celui de la survie. Ce qui l’intéresse, c’est les communautés, les groupes. Comment un groupe survit aux catastrophes. C’est déjà le sujet d’A l’ouest des rails. Comment un groupe traverse une catastrophe.
Catherine Bailhache : Et après le groupe disparaît, se disperse...
Alain Bergala : La fin de Fengming est magnifique, car ce coup de fil est vraiment arrivé. Il filmait de loin, le téléphone sonne, elle décroche. C’est un ancien droitier qui l’a retrouvée car elle a des réseaux. Lui il est là et il filme ça. Il a mérité cette chance, mais c’est une grande chance de documentariste. C’est génial pour finir son film. S’il n’y avait pas ça, ce serait triste, il n’y aurait pas ce truc de fiction. Elle est à sa place à lui, elle recueille, elle aussi, des récits, elle fait le même travail que lui est en train de faire.
Catherine Bailhache : Là aussi, la distance est intéressante.
Alain Bergala : C’est une façon de dire : « Elle est retournée dans sa vie, ce n’est pas la mienne. Je vais la quitter maintenant ». Elle est repartie dans son propre réseau et lui va repartir aussi.
Propos recueills par Catherine Bailhache, Marielle Millard et Julien Rejl Transcription : Marielle Millard
Droits de reproduction réservés aux adhérents de l'ACOR, ou sur demande ici
1 Dans la partie visiblement fictionnée, le personnage joué par Michel Lonsdale parle à un moment du fait qu’il “buvait beaucoup de bière ou de thé”. Dans la version “documentaire” le personnage de Jean-Noël Pic, dans son récit, “buvait beaucoup de thé ou de bière”. Ou l’inverse… |
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Cet entretien s'est déroulé début mars 2012
Les propos d'Alain Bergala ont été recueillis par Julien Rejl – Capricci, Catherine Bailhache et Marielle Millard – ACOR.
Alain Bergala est écrivain, réalisateur, critique, enseignant de cinéma.
« Le texte ci-dessous est libre de droits pour les adhérents de l'ACOR. Pour tout autre utilisateur, ce texte est protégé par la loi en vigueur sur la propriété intellectuelle (article L122.5). Il peut faire une demande d'autorisation auprès de Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. qui transmettra à l'auteur. »
Voir Fengming est-il un préalable nécessaire à la vision du Fossé ?
Certaines des scènes que nous raconte Fengming donnent l'impression de lire un livre…
Le Fossé : l'héritier direct du cinéma de A l'ouest des rails.
Il s'agit d'un camp de rééducation et non d'un camp d'extermi-nation ou de concen-tration.
Dans le Fossé, il n'y a aucune volonté de discours didactique, ni même politique.
Wang Bing filme des choses qui ont l'air austères, arides…
Contrairement à ce qui se dit parfois un peu vite sur Fengming, ce pas un seul plan…
Le cinéma est fait d'abord pour capter ce qui est devant la caméra, le plus sèchement possible.…
Wang Bing a créé une morale et une esthétique à lui, grâce à la caméra DV, et il a été le premier.
De l'intérêt de voir ensemble les deux films.
Ce qui l'intéresse, c'est les commu-nautés, les groupes. Comment un groupe survit aux catas-trophes.
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Dossier de presse
C’est en 2003 que Wang Bing fait son apparition sur la scène cinématographique mondiale avec l’impressionnante fresque documentaire de neuf heures A l’Ouest des Rails, œuvre phare de ce début de XXIe siècle qui accompagnait les derniers ouvriers d’un gigantesque complexe industriel chinois avant la fermeture des usines. En 2004, invité par la Cinéfondation à Paris pour écrire son premier long-métrage, Wang Bing découvre le recueil de nouvelles Adieu, Jiabianjoude Yang Xianhui qui relate le destin tragique des hommes envoyés dans les camps de rééducation chinois pendant les années 50-60. Ce sera ce projet qu’il décidera de porter à l’écran.Wang Bing repart alors en Chine à la rencontre des survivants et des familles des victimes. Il parcourt la Chine entière et enregistre de nombreux témoignages. Sur sa route, il fait la connaissance de He Fengming dont le mari est mort de faim à Jiabianjou. Alors que le tournage du Fossé n’a pas encore commencé, Wang Bing commence à filmer Fengming qui lui livre le plus beau et le plus complet des récits vécus. Fengming est présenté à Cannes en 2007 en Sélection officielle, séance spéciale. Mais Wang Bing souhaite attendre la finalisation du Fossé afin que les deux films soient distribués ensemble. Le Fossé sera tourné fin 2008-début 2009 et présenté en Compétition au Festival de Venise en 2010. |
Fengming, Chronique d'une femme chinoise & le Fossé deux films de Wang Bing dossier de presse réalisé par Capricci
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