Cindy Rabouan
Cindy Rabouan est passionnée par l'image : projectionniste, programmatrice d’un cinéma A&E puis coordinatrice d'un circuit itinérant, elle a co-fondé avec Bernard Mazzinghi la compagnie Les Fileurs d’écoute dédiée à l'intervention dans les salles obscures sous forme de lecture publique, à ce titre, elle recherche textes et images qu’elle assemble sous forme de montage littéraire et iconographique. L’œil existant à l'état sauvage, elle pratique la photographie sous le nom chimérique de Lucie d'Errée.
Photo © Richard Dumas, 2017
Voyage à bord d'un vaisseau psychotrope
par Cindy Rabouan
(Les Travaux et les jours de C.W. Winter et Anders Edström )
ACOR © mai 2022
Pudeur et impudeur de l'acte de filmer,a fortiori,une famille japonaise. Là-bas, savoir rester à sa place relève du plus basique et impératif savoir-être qui soit et c'est aussi une idée de mise en scène que de jouer de cette dualité du dedans et du dehors rejoignant les notions d'uchi et soto, ce concept totalement japonais établissant une frontière nette entre l'espace extérieur, compris comme la face public et l'espace intérieur, intime, familial, clanique. Comme chez Hésiode, nous retrouvons l'opposition entre l'espace du foyer, clos et fixe et l'espace pastoral, ouvert et mobile. Le resserrement autour de ce point géographique qu'est le bassin de Shiotani, niché au pied d'une montagne est inversement proportionnel à la vision panoramique que les prises de vue et les choix de montage proposent à coups de myriades de plans et de sons de l'environnement proche de la ferme de Junji et Tayoko Shiojri. Comme chez Hésiode encore, l'amplitude de vue et ici, la durée.
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Entre deux eaux
[Sur la rive où murmurent les trépassés]
par Cindy Rabouan
(Manta Ray de Phuttiphong Aroonpheng )
ACOR © juin 2019
En un bref prologue énigmatique à la suite d’un personnage sinon principal du moins « conducteur » au sens dantesque, le film nous fait pénétrer dans un espace-temps cinématographique sidérant : celui d’une forêt parcourue par d’étranges chasseurs-guerriers luisants et crépitants dans la nuit comme des feux de Bengale. Qui sont ces hommes-lucioles ? Que chassent-ils ? Quel genre de proie est la leur ? Pourquoi ont-ils revêtu ces étonnantes tenues de camouflages qui émettent des ondes à la fois lumineuses et sonores ? Sommés autant que sonnés par ces apparitions, nous voilà plongés dans un film qui prend d’emblée la forme, le rythme, le ton d’un conte, embarqués dans un voyage au pays des limbes à la lisière du réalisme et de l’onirisme où le fantastique s’échappe du réel comme une seconde peau, où la frontière entre les vivants et les morts semblent infime, où un personnage en cache un autre ou plutôt se substitue à l’autre jusqu’à un point de « non-revenance ».
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Litanie pour un train fantôme
par Cindy Rabouan
(Demons in Paradise de Jude Ratnam)
ACOR © février 2018
« Tais-toi. Ne parle pas en Tamoul. Sinon, ils vont nous tuer. »
Ces paroles reviennent à la mémoire du narrateur alors que son fils crie à la fête foraine. Ce sont les paroles proférées par sa mère lorsqu’ils fuyèrent la ville de Colombo par le train en cette année tragique de 1983. Il avait cinq ans. Ce train qu'ils surnommaient le « démon rouge » car il représentait le pouvoir, la conquête de leur territoire au nord de l'île, les a sauvés. Le manichéisme primaire n'a pas sa place dans les propos de Jude Ratnam. Rien ne peut se comprendre à partir d'une grille de lecture à simple ou même à double entrée. L'échiquier ira en se complexifiant jusqu'à la lutte de soi à soi dans les deux dernières parties du film. Car un train peut en cacher un autre semble-t-il.
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