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Inspiration


Le contexte du cinéma indien

Notes rédigées par Antoine Glémain © ACOR 2013


Les cinéastes srilankais se situent dans la zone d'influence du puissant cinéma indien. Ils se réfèrent inévitablement à ses codes, même lorsque – à la suite de Lester James Peries – ils entreprennent de s'en démarquer pour mieux affirmer leur indépendance. Il peut donc être pertinent de situer Ini Avan et les autres films d'Asoka Handagama dans le contexte du cinéma indien (Merci au passage à François Fronty pour ses précieux conseils).

Bolly, Tolly, Kolly Woods
<em>The Dirty Picture</em>

The Dirty Picture


Dans l'énorme production mainstream de Bollywood (les studios de Bombay, avec leurs films en langue hindi), Tollywood (leurs homologues de Calcutta, avec leurs films en langue bengali) et Kollywood (leurs homologues de Madras, avec leurs films en langue tamoul), très peu de films sont distribués en France. Un choix de programmation possible, parmi d'autres, est cependant celui du film hindi de Milan Luthria, The Dirty Picture, sur le destin tragique d'une actrice tamoul du Sud de l'Inde, Silk Smitha, interprétée dans le film par une mégastar d'aujourd'hui, Vidya Balan.


The Dirty Picture

Inde, 2011, 2h24, VOSTF, 2K.
Réalisation : Milan Luthria
Scénario : Rajat Arora
Photographie : Bobby Singh
Musique : Vishal-Shekhar
Interprètes : Vidya Balan, Naseeruddin Shah, Emraan Hashmi
Distribution : Night ED Films

Au début des années 1980, à la veille de son mariage, Reshma s'enfuit de son petit village pour rejoindre Madras, ville où elle rêve de devenir star de cinéma. Malgré l'indifférence et les railleries, elle s'obstine et finalement réussit à s'introduire sur un tournage où sa sensualité fait sensation. Rebaptisée Silk, elle est remarquée par Suryakanth, une star vieillissante avec lequel elle a une liaison ce qui lui permet d'obtenir de nombreux rôles. Ses danses provocantes et ses costumes ultra légers, en font une vamp qui attire les foules masculines dans les cinémas mais qui suscite également le mépris et le rejet.
Elle se lie d'amitié avec Ramakanth, le jeune frère de Suryakanth qui la rejette, la contraignant à jouer pour des réalisateurs de seconde zone. Dès lors, sa carrière décline inexorablement, elle accumule les dettes, s'enfonce dans la déchéance et l'alcool malgré l'amour tourmenté que lui porte le réalisateur Abraham. Elle se suicide après un dernier film au cours duquel elle est droguée afin de l'amener à tourner des scènes pornographiques.

<em>The Dirty Picture</em>

The Dirty Picture


<em>The Dirty Picture</em>

“ The Dirty Picture possède les qualités que l'on recherchait vainement dans bien des films ces derniers temps : une histoire solide, de bons acteurs, une bonne musique et une véritable saveur indienne avec son intrigue se déroulant dans le milieu du cinéma. Et l'on sait que le cinéma indien, du nord au sud ou d'est en ouest, n'est jamais aussi bon que lorsqu'il se regarde entre nostalgie et autodérision.

En effet, l'histoire de The Dirty Picture s'inspire de la vie de Smitha Silk, actrice tamoule, bien qu'originaire de l'Andhra Pradesh, spécialisée dans les rôles de vamp et dont la carrière se déroula dans les années 1980. La vamp, dans le cinéma indien d'avant les années 1990, assumait, à l'écran, les aspects négatifs de la femme que ne pouvait porter l'héroïne, destinée à finir mariée, donc mère potentielle et, de ce fait, devant être irréprochable moralement.

La vamp fumait, dansait, exhibait ses charmes, son sex appeal, attirait le héros du côté obscur, comme le fait le personnage de Maya dans Shree 420, bref, elle était celle qui faisait fantasmer les hommes à l'image de la femme fatale dans les anciens westerns. Un numéro de vamp, dans un film, était le gage de son succès commercial, car le producteur savait qu'il allait irrémédiablement attirer les foules masculines désireuses de fantasmer. Vous aurez compris que pour assumer ce rôle de vamp, l'actrice devait être bien en chair et exsuder la sensualité par toutes les parcelles de sa peau exposée. Elle devait aussi avoir du cran et ne pas avoir peur de s'exposer au scandale et à l'opprobre, qui étaient liés à son rôle à l'écran, mais que les gens continuaient de projeter sur elle en dehors de la pellicule. Vous aurez compris aussi que celles qu'on appelle aujourd'hui les item girls, avec leur taille XS, et qui n'ont de scandaleux que leur mauvaise façon de se dandiner, ne sont qu'un pâle souvenir de ces vamps voluptueuses.

<em>The Dirty Picture</em>

The Dirty Picture

En rendant hommage à cette actrice disparue et, à travers elle, à toutes les vamps du cinéma indien, The Dirty Picture est bien plus qu'un biopic. Il offre une histoire émouvante et originale, se distinguant des productions actuelles, où le personnage féminin tient le rôle principal et n'est plus un simple faire-valoir du héros et de sa débauche de testostérone. Ici, face à Reshma/Silk, déterminée, sincère et courageuse, les personnages masculins apparaissent comme des lâches, hypocrites et égoïstes. Vidya Balan, en acceptant d'endosser les habits de vamp, porte le film sur ses épaules et relègue au second plan ses partenaires masculins, y compris le vétéran Naseeruddin Shah - pour Emraam Hashmi et Tusshar Kapoor, ce n'était pas bien difficile. Pour ressembler à ces actrices bien en chair, loin des canons de beauté actuels, elle n'a pas hésité à prendre plus d'une dizaine de kilos et à laisser pudeur et retenue au vestiaire. Si elle reçoit une récompense pour sa prestation, un filmfare ou un national award (qui sait ?), elle l'aura bien méritée.

Le film a aussi d'autres atouts que les charmes de son personnage ou de son actrice principale. L'ambiance du milieu cinématographique des années 70-80 est admirablement bien recréée, en particulier dans la séquence Ooh la la la, qui rend un hommage empreint d'auto-dérision au cinéma de cette époque et raille aussi les couples mal assortis par la trop grande différence d'âge. La musique, en particulier le refrain lancinant de "Ooh la la la, you're meri fantasy", ou les premières mesures d'un dappa qui accompagnent la détermination de Reshma – détournement du dappa classique de présentation du héros masculin dans les films du sud –, et les décors servent avec beaucoup de justesse le propos du film.

<em>The Dirty Picture</em>

The Dirty Picture

The Dirty Picture a finalement le mérite de tordre le coup à beaucoup de préjugés, en particulier ceux colportés par la critique occidentale, surtout française, qui colle aux films indiens, plus particulièrement, aux films hindis, l'étiquette de cinéma prude racontant des histoires à l'eau de rose. ”

Didi fantastikindia.fr

“ Adaptant la vie tumultueuse de Silk Smitha, idole éphémère du cinéma tamoul, Milan Luthria fait un film dont la nature paradoxale constitue l'intérêt majeur. Deux regards a priori incompatibles y coexistent. Celui du passionné, addict aux émotions guimauve des fresques bollywoodiennes, et celui du révolté, face à un système consumériste et phallocrate.

Le révolté nous montre en Silk la plus malmenée de ces victimes. Marilyn bollywoodienne, elle s'imposa sur les écrans comme incarnation scandaleuse des fantasmes universels que le cinéma indien n'autorisait et n'autorise à s'exprimer que sous leur forme la plus diffuse. Mais les codes l'emportent. Abraham, jeune réalisateur passionnément dévoué à l'innovation, finit par faire un film conventionnel qui lui apporte, à son tour, la gloire. Suryakanth, star vieillissante, continue de jouer des rôles d'étudiant, de faire ou défaire des films d'un claquement de doigts. Emmurée derrière les fards et les tissus chatoyants qui servent son personnage, Silk, elle, est cruellement exclue du système. Ses soutiens se détournent, son statut se dégrade. Reléguée au dernier degré de la production érotique, elle se fane, renonce à la vie.

<em>The Dirty Picture</em>

The Dirty Picture

Qu'on ne s'y trompe pas : The Dirty Picture reste un film léger sans être désinvolte, léger mais lucide. Révolté, mais conciliant. Contradictoire, donc, comme le sont tous les films de la Nouvelle Vague indienne : nés de Bollywood, ils l'aiment autant qu'ils le rejettent. Cette adolescence pleine de tourments ne manque pas de beauté.

Noémie Luciani
Le Monde, juillet 2012





Les indépendants

En marge des studios, le cinéma indien a eu aussi – et commence à retrouver aujourd'hui – ses auteurs indépendants. Le premier et le plus important encore à ce jour est évidemment Satyajit Ray.

Satyajit Ray

Satyajit Ray (1921-1992) est un réalisateur, écrivain et compositeur indien, de langue bengali. Créateur d'un ciné-club à Calcutta, amené à la réalisation par Jean Renoir, Roberto Rossellini et Vittorio De Sica, il est l'auteur de plus d'une trentaine de films, qui lui ont valu en 1992 un Oscar d'honneur pour l'ensemble de son œuvre.

“ Ne pas avoir vu le cinéma de Ray revient à exister dans le monde sans avoir vu le soleil ou la lune. ” (Akira Kurosawa)

Parmi ses films accessibles en France, on peut retenir sa première réalisation, Pather Panchali (la Complainte du sentier), en attendant la distribution de son chef d'œuvre, Charulata, dont une copie restaurée vient d'être présentée au Festival de Cannes.

“ Satyajit Ray et moi avons commencé à faire des films la même année, et par une coïncidence curieuse, nous ne nous connaissions pas du tout. J'ignorais que Pather Panchali se tournait au Bengale, tout comme il ignorait que je tournais moi-même un film. Une amie commune vint à passer au Sri Lanka, elle me dit “ J'ai entendu que vous tourniez un film ” sans faire allusion à son amitié avec Ray. “ Puis-je le voir ? – J'ai une copie ”. Mais le film n'est pas fini, il n'y a pas de musique... ” Elle me supplia de lui montrer. Je déteste montrer à quiconque un travail inachevé. Mais elle me dit : “ S'il vous plaît, je suis très intéressée, un film semblable se fait aussi par un ami bengali ”. Après avoir vu le film elle était si troublée, elle pensa à l'extraordinaire coïncidence par le fait que ces deux films étaient à propos d'un village, ces deux films autour d'un garçon et d'une fille de ce village. Mais thématiquement deux films totalement différents. Au moment où mon film est passé à Cannes, l'année suivante, tout le monde a conclu qu'il y avait un autre genre de connexion entre l'école bengali et ce que je débutais avec Rekawa (la ligne du destin).

Lester James Peries
Entretien avec Eric Meyer, vice-président de l'INALCO, Deauville, mars 2001

La Complainte du sentier

(Pather Pantchali)

Inde, 1955, 2h02, VOSTF, 35 mm.
Réalisation : Satyajit Ray
Scénario : Satyajit Ray, d'après le roman de Bibhutibhushan Bandyopadhyay
Photographie : Subrata Mitra
Musique : Ravi Shankar
Montage : Dulal Dutta
Interprètes : Kanu Bannerjee, Subir Bannerjee, Karuna Bannerjee
Distribution : Films Sans Frontières

L'histoire tourne autour d'une famille brahmane pauvre. Le père, Harihar, est un prêtre incapable de subvenir aux besoins de sa famille. La mère, Sarbajaya, a la charge d'éduquer sa friponne de fille Durga et de veiller sur sa parente âgée, Indir, dont l'indépendance d'esprit l'irrite parfois. Avec l'arrivée d'Apu dans la famille, des scènes de joie et de jeu viennent agrémenter la vie quotidienne, parfois interrompues par une tragédie. La vie, de toute manière, est un combat, aussi Harihar doit partir en quête d'un nouveau travail, laissant Sarbajaya seule pour gérer la survie de la famille, la maladie de Durga, et la violence de la mousson.

La Complainte du sentier est le premier film de Satyajit Ray et le premier volet d'une fresque dramatique sur la vie d'une famille bengali composée de trois parties: Pather Panchali (la Complainte du sentier), Aparajito (l'Invaincu), Apu Sansar (le Monde d'Apu). La trilogie a pour pivot la jeunesse, l'adolescence et la maturité d'Apu qui commence sa vie dans un petit village du Bengale et la poursuit à Calcutta.

<em>Pather Pantchali</em>

Pather Pantchali

“ Premier film, tourné avec un budget dérisoire, de Satyajit Ray. Premier volet de la trilogie de l'histoire d'Apu dont l'auteur ignorait en la racontant qu'elle donnerait lieu à une trilogie. Premier film d'auteur à part entière du cinéma indien, totalement dégagé des genres et des règles traditionnelles du cinéma. On notera particulièrement l'absence totale de chanson.

En quête d'universalité, le film tente de la trouver dans la description d'un contexte très particularisé : un village perdu de Bengale au début du siècle, petit fragment d'un univers dont l'équilibre et les rites séculaires sont encore très présents quoique déjà engagés dans une mutation considérable et irréversible (Déjà ces rites ne suffisent plus à assurer la subsistance de ceux qui sont censés les célébrer). Apu découvre autour de lui un monde de relations et de croyances qui existe encore dans une sorte d'éternité. Mais cette éternité touche en quelque sorte à sa fin. Elle va bientôt se briser et, sur cette cassure, les expériences ultérieures d'Apu nous renseignerons mieux. Pour le moment une apparente immobilité, une apparente sérénité assourdissent encore le bruissement d'une intense agitation souterraine : cette évidence sensible se dégage d'un film qui, première étape d'un long roman d'apprentissage, se termine de manière très significative par le début d'un voyage. ”

Jacques Lourcelles
Dictionnaire du cinéma

<em>Pather Pantchali</em>

Pather Pantchali

“ Ray détestait la production hindi dominante en Inde : pas question pour lui de céder à la mode des films de trois heures entrecoupés de séquences musicales exaltant l'amour d'une belle héroïne et de son prince charmant. Pather Panchali révolutionne tous les codes du cinéma indien : tourné avec des acteurs pour la plupart amateurs, dans le décor ultra réaliste d'un pauvre village bengali, sans chansons mais bercé par les circonvolutions du sitar de Ravi Shankar, le film raconte la naissance du petit Apu et sa survie auprès d'une sœur espiègle, Durga, d'une mère Courage et d'un père absent (...)

La grande réussite de Ray se trouve bien dans la façon dont il s'empare de ses influences néo-réalistes italiennes pour faire un film aux thématiques profondément indiennes. Ray, qui venait de la grande bourgeoisie bengalie, ne connaissait rien de l'existence des villageois pauvres. Il lui insuffle pourtant un grand réalisme, tout en faisant résonner les thématiques qui lui sont chères. En Inde, le cinéma fit et fait toujours beaucoup pour la reconnaissance du rôle vital des femmes dans un pays où elles sont encore traitées comme des êtres inférieurs. Dans Pather Panchali, Ray souligne sans avoir l'air d'y toucher l'injustice dans le traitement réservé au fils, choyé et éduqué, quand la fille n'est bonne qu'à recevoir des gifles ou à balayer le sol de la maison. Dans le foyer, c'est pourtant la mère qui porte à bout de bras la vie des enfants quand le père fait mine de se déclarer poète ; quant à Apu le petit homme, il est guidé en tout par sa sœur plus débrouillarde que lui et ne fait que recevoir et observer d'elle. Lorsqu'elle meurt, c'est une partie de l'univers du petit garçon qui disparaît à jamais ; en prenant l'initiative de jeter dans le fleuve les perles qu'elle avait volées, il se montre enfin capable de prendre lui-même en charge sa vie, ce qu'il fera dans les deux volets suivants de la “ trilogie d'Apu ”, l'Invaincu et le Monde d'Apu.

Au-delà du grand bouleversement que constitua pour le cinéma indien la sortie du film, comme de la naissance d'un grand maître, Pather Panchali amène aussi à vivre l'Inde autrement que dans la vision exotique des palais de maharajahs et à relativiser les images terrifiantes de la pauvreté. Bien avant d'être un pays du Tiers-Monde ou un fantasme de Blancs nourris au karma et au yoga, l'Inde est un pays à la culture millénaire, aux ambitions artistiques dignes de sa démesure et au cinéma riche de mille joyaux. Pather Panchali est de ceux-là. ”

Ophélie Wiel
www.critikat.com

Rithwik Gathak

Une autre figure incontournable du cinéma indien indépendant est le poète maudit et artiste révolutionnaire Ritwik Ghatak.



Ritwik Ghatak (1925-1976) est un réalisateur, acteur, dramaturge et écrivain indien, de langue bengali . Marxiste convaincu, il a traduit en bengali l'œuvre de Bertolt Brecht. Il est mort dans une extrême pauvreté, alcoolique et tuberculeux, après avoir réalisé 8 longs métrages. Le seul distribué actuellement en France est Meghe DakhaTara (l'Etoile cachée), le premier film d'une trilogie sur fond de la partition du Bengale en 1947.

“Les héros et héroïnes des films de Ritwik, dont les énergies sont sapées par une société qui ne peut soutenir aucun développement personnel, ont des ressources intérieures qui semblent s'affirmer d'elles-mêmes (...) Il était extrêmement déçu par ceux de ses collègues qui voulaient maintenir une unité de façade et ne souffraient pas assez, implicitement, de la désintégration de toutes les formes de valeurs sociales et culturelles. Ce sont ces facteurs qui font des films de Ritwik une force vitale génératrice pour les jeunes. Il ne se cache pas derrière un passé médiéval ou une Inde de carte postale (...) Très peu de ses contemporains ont évité ces écueils, qu'ils œuvrent dans le cinéma, dans les autres arts ou dans la sphère théorique et culturelle. C'est comme s'ils étaient honteux d'être eux-mêmes, aujourd'hui, avec leur véritable histoire. ”

Kumar Shahani
in Indian Cinema, 1982

L'Etoile cachée

(Meghe DakhaTara)

<em>L'Etoile cachée</em>

L'Etoile cachée

Inde, 1960, 2h06, VOSTF, 35 mm
Réalisation et scénario : Ritwik Ghatak
Photographie : Dinen Gupta
Musique : Jyotirindra Moitra
Montage : Ramesh Joshi
Interprètes : Supriya Choudhury, Anil Chatterjee, Gyanesh Mukherjee
Distribution : Films Sans Frontières

Après la partition des Indes, une famille de réfugiés du Bengale survit dans la misère, à la périphérie de Calcutta. Le père, instituteur à l'origine, est paralysé par une fracture et ne peut plus travailler. La fille aînée, Nita, qui donne des cours particuliers et tente simultanément de continuer ses études, est la seule à ramener un peu d'argent à la famille. Alors que Sanat est amoureux d'elle, elle renonce à l'épouser pour continuer à assurer la subsistance de ses proches. C'est finalement sa sœur cadette qui s'unit à Sanat. Le fils cadet, ouvrier d'usine, est victime d'un terrible accident du travail. Nita se démène pour sauver son frère, qui sera heureusement guériÉ mais elle ressent bientôt les symptômes d'une tuberculose avancée. Shankar, le frère aîné, devenu une vedette célèbre, lui assure un séjour en montagne, mais il est déjà trop tard...

<em>L'Etoile cachée</em>

L'Etoile cachée

“ Le noir et blanc est souvent magnifique et les cadres composés et très beaux. Le montage est audacieux, parfois expérimental, Ghatak agglutine les plans sans les raccorder, les soulignant d'une musique très expressive (jouée et composée par lui même, intégrant même des coups de fouet). Si les personnages secondaires sont parfois caricaturaux, celui de Nita est superbe, qui ne désespère jamais et garde son humanité malgré tout le mélo. ”

Gizmo
www.senscritique.com



“ La bande-son avait été jugée remarquable à la découverte du film, et effectivement, Ghatak se permet une liberté totale à ce sujet. Il fournit celle-ci avec soit de la musique d'accompagnement, soit de la musique jouée ou chantée par Shankar ou d'autres musiciens jouant dans la cour de la maison, mais là où ça touche au génie, c'est qu'en se foutant complètement d'un quelconque réalisme sonore, Ghatak utilise carrément des bruits concrets produits par les actions des personnages comme s'il s'agissait de musique, en modifiant le volume sonore sans justification réaliste.

Un bon exemple est le bruit de grésillement de la cuisson du riz lors de la scène où la mère qui se trouve dans la cour de l'immeuble se met à cuire ce riz dans une marmite en épiant avec inquiétude la discussion entre Nita et Sanat dans la chambre de celle-là, ce qui signale une attirance mutuelle entre les deux jeunes gens, et qui la contrarie. Vue ensuite cinq ou six mètres plus loin depuis l'intérieur de la chambre, l'intrusion de la mère indiscrète vis à vis des deux amoureux est soulignée par le maintien du volume sonore de la cuisson du riz, qui eût dû baisser notablement étant donné l'éloignement soudain de la marmite par rapport au spectateur (...)

La même liberté de style s'exerce sur le choix de l'éclairage: il ne paraît pas aberrant à Ghatak de briser l'unité des éclairages à l'intérieur d'une même scène, et particulièrement, certains contre-jours seraient jugés malvenus ou certains plans surexposés par rapport à des habitudes moins artisanales, pourtant un "surplus" de lumière sur le fascinant visage de la mère sublime celui-ci. Un contre-jour, "rattrapé" par une grande ouverture sur le visage de Montu complètement défait après son accident à l'usine accentue l'impression d'abattement psychologique de celui-ci (...)

Dans le rôle de Shankar, Anil Chatterjee est royal. Cet acteur génial joue l'artiste paumé forcé à un quémandage auquel il se plie avec une souplesse d'expression dans laquelle il arrive à mélanger l'enfance et la noblesse. Ses discussions avec le boutiquier Banshi (joué par Gyanesh Mukherjee) qui le rudoie en lui reprochant de ne pas travailler, sont étonnantes. Souvent, embarrassé, il pose ses mains sur ses larges joues, comme pour mieux s'excuser d'avoir dû demander une faveur de plus, il retrouve le geste dans les circonstances tragiques dans lesquelles il annonce à la famille la maladie de Nita. Lorsqu'il revient de Bombay riche et célèbre, il garde la même attitude, et s'autorise en souriant à impressionner Banshi en en rajoutant sur le montant de ses cachets. Chaterjee était une vedette en Inde, où il a tourné quatre-vingt-dix films. ”

Martin Brady
retourayuma.free.fr

Anurag Kashyap

Une nouvelle génération de cinéastes indépendants est en train d'émerger en Inde avec pour chef de file Anurag Kashyap, découvert à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2012 avec Gangs of Wasseypur et présent à nouveau cette année au festival de Cannes avec un sketch de Bombay Talkies en sélection officielle et Ugly à la Quinzaine des réalisateurs.


Réalisateur, scénariste et producteur indien, de langue hindi, né en 1972.


Il a réalisé à ce jour 10 longs métrages :



2003 Paanch
2007 Black Friday
2007 No Smoking
2007 Return of the Hanuman
2009 Dev D
2009 Gulaal
2010 Mumbai Cutting
2011 That Girl in Yellow Boots
2012 Gangs of Wasseypur
2013 Ugly

En dehors d'Ugly, qui sortira prochainement chez Happiness Distribution, le film d'Anurag Kashyap à montrer en priorité est le joyeusement subversif Gangs of Wasseypur.

Gangs of Wasseypur

(Meghe DakhaTara)

<em>Gangs of Wasseypur</em>

Gangs of Wasseypur

Inde, 2012, 1ère partie 2h40, VOSTF, 2K.
Réalisation : Anurag Kashyap
Scénario : Akhilesh Jaiswal, Sachin K. Ladia, Syed Zeichan Quadri & Anurag Kashyap
Photographie : Rajeev Ravi
Musique : Sneha Khanwalkar
Montage : Shweta Venkat Matthew
Interprètes : Manoj Bajpayee, Tigmanshu Dhulia, Piyush Mishra
Distribution : Happiness Distribution



Dans la première partie, la ville voit s'affronter trois générations de gangsters, héritiers de deux clans. Celui de Shahid Khan, qui le premier se lança dans le pillage de trains britanniques, contre celui du clan de Ramadhir Singh, au pouvoir sans partage sur la région. Devenu paria, Shahid Khan est contraint de travailler dans la mine de son pire ennemi.

Sardar Khan, fils de Shahid et coureur de jupons invétéré, a juré de rétablir l'honneur de son père en devenant l'homme le plus redouté de Wasseypur.

Gangs of Wasseypur

Gangs of Wasseypur

Inde, 2012, 2ème partie 2h40, VOST, 2K.
Réalisation : Anurag Kashyap
Scénario : Akhilesh Jaiswal, Sachin K. Ladia, Syed Zeichan Quadri & Anurag Kashyap
Photographie : Rajeev Ravi
Musique : Sneha Khanwalkar
Montage : Shweta Venkat Matthew
Interprètes : Nawazuddin Siddiqui, Huma Qureshi, Vineet Singh
Distribution : Happiness Distribution

Les clans de Shahid Khan et Ramadhir Singh continuent de s'affronter dans la région deWasseypur. Et c'est maintenant au petit fils de Shahid, Faizal de reprendre la tête du clan Khan. Fumeur depuis son plus jeune âge et timide, personne, surtout sa mère, ne croit en son potentiel de chef de gang. Mais bientôt Faizal va marquer les esprits par son intelligence et son incroyable soif de vengeance qui ne semble pas trouver de fin. Aidé de ses frères et inspiré des héros de Bollywood, il va étendre le pouvoir du clan Khan comme jamais, combattre Ramadir sans relâche et enfin peut-être connaître le repos du vainqueur ?

“ Gangs of Wasseypur est un modèle de mise en scène. Kashyap sculpte chaque minute des cinq heures vingt dont il dispose. Aucune séquence ne semble superflue. Pourtant, l'action ne fuse pas. Elle arbore au contraire la beauté patiente du python. Tranquille et mortelle. Cette durée exceptionnelle permet à Kashyap d'impulser un nouveau rythme au cinéma au cinéma d'action. Observez ce faux trafiquant d'armes. Véritable tueur, il dispose ses flingues sur la table. Un à un. Il est un joueur qui effectue sans réfléchir une réussite ordinaire... jusqu'à ce qu'il saisisse un revolver pour accomplir son travail comme on retourne la dernière carte. On pourrait évoquer les pistolets qui s'enraient, les filatures qui s'étirent dans les embouteillages à en devenir comiques... mais venons-en à cette anodine conversation entre amis. On parle, on parle. Puis la lame monte. Elle frappe, frappe, frappe. Et le sang gicle, gicle, gicle. De longs geysers orangés qui maculent machinalement la nuit. A Wasseypur, la mort sait prendre son temps.

Les héros inscrivent leur destin dans la durée. Ils acceptent de n'être qu'une pièce d'un vaste puzzle, un élément d'une histoire qui a commencé avant eux et qui se poursuivra après. Voilà pourquoi ces truands ne craignent ni la prison ni la mort. A la fin de la première partie, dans la plus belle scène du film, Sandar Khan s'effondre sous un soleil matraqueur. Le crâne rasé, le corps criblé de balles, il n'est pas vengé, mais s'éteint sans regret. Enfants et petits-enfants poursuivront son œuvre.

Gangs of Wasseypur

Gangs of Wasseypur

Cette durée est celle du siècle indien. Peu de films ont aussi bien montré le lent roulis de l'Histoire. L'actualité multiplie les clichés sur les pays “émergents” : “éveil”, “miracle”... autant de mots qui nous font croire à des changements brutaux, à un présent tiré du néant. La vaste spirale que dessine Gangs of Wasseypur nous replace dans une perspective plus large. En cela, comme le Parrain de Coppola ou le Gangs of New York de Scorsese, le film d'Anurag Kashyap évoque le documentaire de Wang Bing, A l'ouest des rails, ou celui d'Emmanuelle Demoris, Mafrouza.

A Shenyang, au Caire, à Wasseypur, le présent est toujours l'aboutissement d'une très longue histoire. Un homme n'écrit pas seulement son destin. Ses actes, ses choix ricochent au-delà de sa vie et se répercutent sur ses descendants. La violence des Khan ira en s'intensifiant, chaque génération hérite des crimes de ses aînés. Ce film ne peut donc pas finir. Anurag Kashyap nous ramène bien à la fusillade inaugurale, mais pour la montrer sous un nouveau point de vue. La boucle refuse de se refermer.



“ La mort viendra de la main d'Allah ou du voisinage ”, dit-on à plusieurs reprises. Adapté de faits réels, Gangs of Wasseypur assume sa portée politique. Les Khan et les Singh sont musulmans sunnites. Leur haine dépasse les querelles religieuses. Elle symbolise un pays qui s'entre-déchire, au-delà des castes et des croyances. Avec ses flambées de violence, le film incendie le mythe d'une Inde sage et pacifique. En outre, la rocambolesque campagne électorale déboulonne “la plus grande démocratie du monde”. Pour achever son œuvre, Kashyap n'a plus qu'à dynamiter... le cinéma de son pays. Avant même le générique, il fait exploser en gros plan l'écran d'une télé qui diffuse un soap opera gluant. Tous les codes visuels ou musicaux sont renversés. L'eau ne dégouline pas sur les saris : ce sont les femmes qui surprennent les hommes à leur toilette. Leur beauté terrienne n'a rien de commun avec les déesses de Bollywood. Au lieu d'offrir la traditionnelle échappée onirique, les séquences musicales s'intègrent à la narration, aux mariages et aux fêtes. La partition magistrale mêle des guitares à la Morricone et des scratch de hip-hop. La danse la plus longue aura lieu dans une prison sordide. Elle est effectuée... par un nain ! Enfin, Kashyap tient à représenter ce que l'on voit rarement de façon aussi frontale : le peuple indien. Souvent misérable, il forme la tapisserie de sa saga. Pas une poursuite sans que le cadre ne laisse apparaître un mendiant ou un chien errant. Blasés, ils regardent les héros s'entretuer. L'esthétique de Bollywood vient s'intégrer à ces paysages ordinaires : de Deewar à Dilwale Dulhania Le Jayenge, des affiches s'étalent dans les rues déglinguées, tandis que la sonnerie d'un téléphone provient du Khal Nayak de Subash Ghai. Les gangsters machos singent les poses de Salman Khan au grand jour, dans les salles obscures Kashyap capte des visages extasiés sous le rayon des projecteurs. Stars et succès scandent ainsi les années qui passent. Kashyap pose sur ces blockbusters bigarrés un regard tendre et lucide. “Sais-tu pourquoi je reste le seul parrain de cette ville ? dira Ramadir Singh à la fin de sa vie. Parce que je ne vais jamais au cinéma. Tant qu'il y aura des films dans ce pays, les gens se laisseront berner.” Le “sale jeu de mensonge et de camouflage” qui se joue à Wasseypur est aussi celui du cinéma. ”

Adrien Gombeaud
Positif, janvier 2013