Boulevard de la mort
Death Proof
de Quentin Tarantino
(2007)
La répétition cathartique
A Austin, trois amies, Shanna, « Jungle » Julia et Arlene (Vanessa Ferlito, Sydney Tamiia Poitier, Jordan Ladd) font une virée nocturne dans un bar. Elles ignorent qu'elles sont suivies depuis un moment par Stuntman Mike (Kurt Russell),
un ancien cascadeur qui sillonne les routes en tuant les jeunes femmes qu'il croise sur son chemin. Après les avoir longuement observées et même abordées, la soirée se termine et chacun repart sur la route. Entretemps Stuntman Mike décide de prendre
avec lui Pam (Rose McGowan), une jeune femme solitaire qui cherche quelqu'un pour la raccompagner chez elle. C'est sur le chemin du retour qu'il provoquera une collision mortelle, tuant sur le coup les quatre jeunes femmes tandis qu'il s'en tire
avec quelques fractures grâce à la résistance de sa voiture renforcée. Quatorze mois plus tard, Stuntman Mike repère désormais dans le Tennessee un groupe d'amies qui travaillent dans la région sur le tournage d'un film. Il se lance à leur poursuite
mais cette fois-ci les jeunes femmes ne se laisseront pas faire...
Comme souvent chez Tarantino, Boulevard de la mort constitue un hommage cinéphile à un sous-genre cinématographique, ici le slasher movie, film d'horreur de série B où un tueur souvent masqué élimine un par un une bande
de jeunes. De ce fait, les codes du slasher movie se confondent parfaitement avec les marottes de Tarantino : il s'agit d'offrir aux spectateurs une sorte de spectacle cathartique et défouloir qui opère en deux temps.
La première partie du film, tout à la fois plaisante, bavarde et progressivement inquiétante, se conclut sur une débauche de violence qui nous laisse hébétés et impuissants. Après avoir dressé le portrait de son sympathique groupe d'amies, l'arbitraire
du scénario décide de nous donner à voir le spectacle de leur mort violente ; on pense là évidemment au principe mis en place dans Psycho d'Alfred Hitchcock, autre film « d'horreur » à la narration coupée
en deux. La collision meurtrière, qui fait ici figure de coup de force du film, est ainsi filmée sous toutes les coutures, nous laissant apprécier en détail la violence du choc et son esthétisation par Tarantino la voiture des jeunes femmes
se disloque dans les airs tandis que leurs corps s'éparpillent sur le bitume, les vitres partent en éclats tandis que le sang gicle. Faute de preuve, l'homicide de Stuntman Mike reste impuni. Nous voyons cependant le shérif de la ville ébaucher
dans les couloirs de l'hôpital quelques suppositions quant aux raisons de la collision et évoquer la piste quasi-certaine de l'homicide volontaire. Là encore, cette scène semble faire ouvertement référence à l'une des toutes dernières scènes de
Psycho où les raisons qui poussent irrésistiblement Norman Bates au crime sont froidement évoquées par des experts, Bates est alors réduit à un cas clinique et toute la lumière est faite sur sa maladie. L'homicide non prouvé,
un autre film commence, cette fois-ci dans le Tennessee. Nous retrouvons Stunman Mike pistant un groupe d'amies qui, une fois menacé, ne se laissera pas faire. C'est finalement lui qui se fera poursuivre et achever par les jeunes femmes, et
Tarantino de filmer ce fragment comme si le groupe de filles offrait consciemment une vengeance au groupe précédent.
Que ce soit la violence des femmes ou du meurtrier, la débauche de violence chez Tarantino a quelque chose d'une fête, d'une célébration esthétique. Le réalisateur se permet d'aller très loin sans choquer car tout semble n'arriver qu'à l'image, l'hyperviolence
se réduisant à n'être qu'un spectacle forain et pulsionnel. On peut aisément le comparer à Martin Scorsese, autre cinéaste de l'ultra-violence festive qui n'est jamais rattachée à une idée du mal.
Boulevard de la mort, en bon slasher qu'il est, met en branle des mécanismes primitifs chez son spectateur en fonctionnant sur un mode binaire qu'articulent ses deux parties : l'une où nous nous sentons impuissants,
l'autre où nous obtenons vengeance et réparation, l'un où nous nous sentons passifs et démunis, l'autre où nous avons l'impression d'agir. Précédemment, Kill Bill est sur toute sa longueur construit sur le principe du revenge
movie. Plus récemment, Inglorious Bastards ou Django Unchained fonctionnent également sur ce même principe de « pulsion vengeresse » sans être ouvertement coupés en deux. Sauf que dans
ces deux films Tarantino rétablit une sorte de justice par des moyens cinématographiques mais ce qu'il venge est une violence bien réelle et ancrée historiquement (l'esclavage, la deuxième guerre mondiale). Comme si le cinéma pouvait servir une
forme de vengeance symbolique, qui sans réellement nous venger, nous servirait de défoulement.
Dans l'économie de sa filmographie Boulevard de la mort articule de façon très dépouillée les tenants du cinéma de Quentin Tarantino en mettant au jour toute la charge sexuelle contenue dans l'expression de la violence
puisque la métaphore est ici à peine voilée, limite démonstrative : les meurtres de Stuntman Make tiennent de la perversion sexuelle, celui-ci choisit toujours des victimes qu'il estime désirables et la collision vaut pour lui comme acte
sexuel. Cela fait de Boulevard de la mort un film aussi ludique que passionnant, d'une incroyable efficacité sur ses spectateurs puisqu'il décèle et appuie (comme tout bon slasher movie) sur ce qu'il y a de primitif, d'animal
et de passif dans notre rapport aux images.