FIF 85 > La critique sur Internet #2
Samedi 19 octobre 2013
Conférence . 14h15 . Théâtre de La Roche-sur-Yon
FIF 85 > La critique sur internet > Christophe Beney, modérateur
La critique sur internet #2
Une mutation, mais qui donnera quoi ?
La critique de cinéma connaît une mutation inédite. Pour la première fois dans l'histoire de l'art, une création et le discours sur cette création peuvent partager une même matière : le numérique. Pour prendre la mesure des perspectives offertes par ce changement, il faut imaginer le commentaire d'un tableau de maître se faire sous la forme de pures couleurs, celui d'une sculpture devenir une autre sculpture, une danse répondre à une autre, etc. Enfin pas tout à fait, car nous n'en sommes pas à projeter sur un écran de cinéma des critiques, qu'elles soient des textes ou des images en mouvement, simplement à les diffuser sur cette toile commune qu'est Internet.
Avec l'offre croissante de la vidéo à la demande, le saucissonnage en extraits permis par YouTube et consorts, les captures d'écran, voire le montage inter-filmique à la portée du plus grand nombre, écrire sur le cinéma revient à plaquer littéralement son discours sur les images. Il ne s'agit pas encore de jongler avec celles-ci, comme Tom Cruise dans Minority Report, ni de confondre les films avec les questionnements qu'ils suscitent, d'indifférencier l'art et la critique – peut-être même n'est-ce pas souhaitable, à moins de considérer la critique comme un art, ce qui est un autre débat – mais une chose est sûre : Internet s'impose en terrain commun et encore vierge qu'il convient de défricher. Reste à savoir ce que nous y trouverons : de véritables nouveaux chemins ou un statu quo ? Et qui en seront les aventuriers : des critiques solitaires dont la parole n'engage qu'eux ou des groupes de toutes nationalités, susceptibles de s'agglomérer les uns aux autres en fonction des circonstances ? Des amateurs ou des experts ?
Ce sont les enjeux du débat organisé pour la deuxième année consécutive par le Festival international du film de La Roche-sur-Yon. Des enjeux importants, d'où la nécessité d'inscrire cette prospective dans le temps, avec la participation active du public. L'édition 2012 s'interrogeait sur l'héritage de Serge Daney, critique que son goût pour la multiplicité des supports aurait sûrement amené à bloguer ou à twitter. Il convient de poursuivre ce travail et de l'orienter vers davantage de prospective, grâce à nos participants, complémentaires dans leurs approches éditoriales, techniques et commerciales.
Christophe Beney, cofondateur de accreds.fr et enseignant-chercheur en cinéma
FIF 85 > La critique sur internet > Clhoé Beaumont, intervenante
Feux croisés
Chloé Beaumont, cofondatrice et co-rédactrice en chef de feuxcroises.com
La revue en ligne Feux Croisés est née d'une envie commune de la part de Cédric Bouchoucha et moi-même de s'affranchir d'une pratique universitaire du cinéma – que nous exerçons tous les deux depuis quatre ans – ne répondant pas totalement à nos attentes. L'idée d'écrire sur le cinéma via Internet s'est imposée pour d'évidentes raisons économiques : la maintenance d'un site comme Feux Croisés coûte moins cher que l'entreprise d'une revue papier. La publication de dossiers consacrés à des figures du cinéma, et plus rarement des séries télévisées, marque la différence de Feux Croisés, qui a d'abord souhaité au cours de sa première année se consacrer à un sujet par mois. La préparation de ces dossiers est, jusqu'à présent, toujours déclenchée par une actualité, mais nous ne cherchons pas à traiter toute l'actualité, tous les films, comme des données, à la manière de la plupart des autres webzines. Etudier, approfondir un auteur au gré d'une dizaine d'articles rédigés par des plumes exigeantes, venues de tous les horizons, tel est l'objectif. La pluralité des points de vue et des connaissances cinématographiques est donc au centre de la rédaction de Feux Croisés.
FIF 85 > La critique sur internet > Quentin Carbonell, intervenant
Mubi
Quentin Carbonell, directeur de Mubi France
"La télévision avait deux avenirs possibles. Le jeu vidéo et l'école du soir. " Une idée que formulait Daney en 1982 et que je me plais, en la détournant, à reporter au cinéma, à l'objet téléviseur et à sa console vidéoludique potentiellement adjointe, qui permettent aujourd'hui de visionner les différents catalogues des offres locales de VOD. Chaque objet possède alors sa propre approche – le déplacement au cinéma se transpose en déplacement dans un menu. Les aménagements intérieurs simulent ceux de la salle. Le "cinéma à la maison" émule la "maison du cinéma", et les nouveaux supports du film sont partagés avec ceux de la vidéo, même du jeu vidéo. Directeur de Mubi France, je crois en l'avenir de la VOD en tant que moyen d'atteinte d'un public privé, pour différentes raisons, de nombreux aspects du cinéma ; en tant qu'accompagnement de la salle, de cinéma mais aussi de musée. Nous acquérons, programmons et partageons des films sur Mubi avec l'esprit non pas d'un phagocyte qui viendrait donner le coup de grâce à la dernière bobine, mais d'une nouvelle possibilité de voir et de partager, où que ce soit dans le monde, des films précieux qui ont parfois disparu des salles, ou qui n'ont jamais bénéficié d'une sortie française. La présence d'un film sur le vaste territoire qu'est Internet a engagé de nouvelles questions quant à sa protection et sa diffusion selon des règles elles-mêmes bouleversées, mais est surtout devenue un moyen, que j'estime unique en force d'atteinte d'un public désirant, de faire connaître ou redécouvrir des œuvres qui ont parfois plus que contribué à forger différentes histoires du cinéma, ou qui s'apprêtent à le faire.
FIF 85 > La critique sur internet > Luc Lagier, intervenant
Blow up
Luc Lagier, rédacteur en chef et réalisateur du webmagazine Blow Up sur arte.fr
Lorsque ARTE m'a demandé de réfléchir à une émission de cinéma sur le net, j'ai commencé par définir ce que je ne voulais pas ou plus faire : pas de critique des films sortant tous les mercredis, pas de comptes-rendus de festivals, pas de panoramas du jeune cinéma de tels pays, pas de rencontres avec les réalisateurs ou acteurs en promotion... Mon envie était plutôt de faire du montage, de plonger dans les images, de les faire entrer en résonnances avec d'autres, de les réinventer différemment en les extrayant de leur contexte pour les plonger dans un autre, bref de proposer une écriture critique fondée sur l'image et, surtout, le raccord. Cela a pris la forme de recut sur des thématiques (le métro, la piscine, l'école...), sur des cinéastes (Gus Van Sant, Fritz Lang, David Cronenberg...), sur des acteurs (Belmondo...), cela a également pris la forme de collisions entre deux films (Un homme qui dort meets Taxi Driver, Barton Fink meets Shining...), entre deux cinématographies (Alfred Hitchcock vs Brian De Palma) ou même entre un roman et un film (Bruges-la-morte de Rodenbach et Vertigo d'Hitchcock). Bref, avec la collaboration de nombreux cinéastes qui ont accepté de participer au site (Ange Leccia, Bertrand Bonello, Johanna Vaude, Laetitia Masson, Jean-Paul Civeyrac, Valérie Mréjen et beaucoup d'autres), l'enjeu de Blow up consiste à parler de cinéma tout en en faisant.
FIF 85 > La critique sur internet > Isabelle Regnier, intervenante
Le Monde - le blog
Isabelle Regnier, journaliste au Monde + deux blogs via lemonde.fr : Film Bazar et The Bubble
On aurait pu imaginer que la critique change de nature avec le Net. Que la possibilité d'intégrer au texte des vidéos, des photogrammes, des sons, influence l'écriture elle- même, et in fine la pensée. Il y a eu quelques exemples, passionnants d'ailleurs : le premier site des Cahiers du cinéma en 2000 (qui a fait long feu), le blog 365 Jours ouvrables de Joachim Lepastier... Mais dans l'ensemble, rien n'a vraiment bougé. Peu importe le support, ce qui différencie un texte de Chonic'Art, d'un autre publié par Le Monde, d'un troisième posté sur un blog cinéphile tient essentiellement à la plume de l'auteur. En même temps, c'est évident, l'activité critique s'est transformée. La disponibilité en ligne des films, ou du moins des extraits, change le rapport à la mémoire. Le temps où un souvenir brumeux, voire complètement déformé, pouvait avantageusement s'inscrire dans un texte, est révolu. Une telle licence n'est plus guère défendable. Avec les réseaux sociaux, surtout, la critique de cinéma se répand. Les discussions cinéphiles ne se limitent plus aux sorties de projection, elles se poursuivent en continu, sautant les frontières et les fuseaux horaires, passant du registre le plus trivial au plus érudit sans transition, se greffant sur n'importe quel objet. La critique contamine tout. Elle est partout.