De la guerre, je ne savais rien.

De la guerre, je ne savais rien. On n'en saura pas plus. Deux cartons, un plan séquence et on élude, deux minutes de silence en paysage sonore, le bruit du moteur, quelques–uns se souviennent derrière les vitres sales. Paysages d'une sécheresse tropicale, c'est antinomique mais c'est comme ça, et un type un peu gros qui a tout du tigre puisqu'il ne parle pas. Ca vous pose un cadre – et de l'armée tamoule s'il vous plaît. C'est lui qui revient. Ou plutôt qui arrive car sa petite trentaine laisse entendre que sa vie n'a guère été que guerre jusqu'à ce jour précis. Thèmes de la renaissance, on prend les mêmes et on change tout, tableaux de nature morte dans les scènes de flash back – le présent est filmé au plus près des acteurs qui n'en sont pas vraiment et jouent leur propre vie ou celle d'autres comme eux.

On se fait des idées sur le Sri-Lanka

On se fait des idées sur le Sri–Lanka, comptoir sombre à goût de thé noir devenu succursale d'une Inde en plein essor. Les langues mélangées, les morts, le nationalisme, on ne les inclut pas dans les idées qu'on se fait. Cinghalais – ça sonne exotique, Tamoul aussi. Un Cinghalais chez les Tamouls comme mon curé chez les nudistes pour l'œil inexpérimenté. Je reconnais, j'ai pu croire ça puisque je n'y comprenais rien. Asoka Handagama le Cinghalais filme en territoire ennemi avec la légèreté de celui qui sait bien qu'ennemi ne veut rien dire à l'heure des réapprentissages. Pourtant, l'autre est partout et il est intérieur. Les démons oubliés ressemblent aux vies brisées de ces familles en deuil dont le Tigre a mené les enfants à la guerre : survivre, ça fait mauvais genre.

Le rythme lancinant d'une réaccoutumance

La première partie du film se déplie ainsi en un tableau contemplatif d'un après–guerre à vif, duquel surgissent des informations elliptiques sur la société sri–lankaise : logique de castes, enrôlements de force des jeunes filles et des jeunes hommes, mariages forcés pour échapper au pire, cultures entremêlées à Jaffna, toute proche, qui recommence à vivre et se pose en théâtre du bilinguisme national. Les silences du Tigre laissent entrevoir qui il était et celui qu'il voudrait désormais devenir. Sur fond d'histoire d'amour en clin d'œil à Bollywood, l'enjeu national sert de toile de fond à la première heure d'Ini Avan, au rythme lancinant d'une réaccoutumance.

Et puis le film bascule

Et puis le film bascule à rebours de la vie de son personnage : la narration lorgne vers le fictionnel quand Celui qui revient cherche simplement à trouver sa place dans une normalité qui parait irréelle. Les codes se renversent, de nouveaux personnages font leur apparition. Un bijoutier mafieux, symbole d'une prospérité découverte à l'abri des consciences offre une voie de salut au héros malgré lui ; une jeune rescapée de toutes les horreurs propose par son courage, sa franchise, son humour et son indépendance un chemin différent. C'est à son arrivée que le film acquiert tout à fait sa dimension poétique, dans une légèreté de propos en suspens qui s'oppose au cynisme. Elle transmet une force universelle au film dont la portée déborde les frontières de cette île au bout du monde. Les plans se perdent sur des horizons vides où tout est à construire. Dès lors la trame, en se resserrant, laisse toute place au propos politique. Handagama y livre une vision sensible d'un Sri–Lanka apaisé, exhortant par une pirouette finale les Tamouls à prendre leur destin en main : un message transposable à tous les lieux d'un monde qui n'en a pas fini de se découvrir.

Thomas Gayet

Thomas Gayet est écrivain et cinéphile. Il a publié aux éditions La Tengo un essai satirique, CineCittà, manifeste anti-crise et pro-graisse, réalisé avec avec le dessinateur Ulysse Gry et proposant de substituer à la morosité actuelle les codes du cinéma italien de l'âge d'or. Il collabore également à plusieurs revues politiques dont Charles dans laquelle il signe notamment le scénario de la bande-dessinée La Révolution mais pas trop. Son premier roman sortira fin 2012 aux éditions La Tengo.

Photo © Renaud Monfourny.

Ini Avan vu par Zinzolin