Retour impossible

De retour dans son village deux ans après la guerre du Sri Lanka, un ex-combattant tamoul doit faire face à l'hostilité des familles de disparus, peinant à croiser leur route, leur regard sans être renvoyé à sa culpabilité. Cette problématique du retour impossible, du rachat contrarié est ce qui d'emblée interpelle dans Ini Avan, septième long métrage d'Asoka Handagama. Avec une grande précision, la réalité de la situation d'un homme et de tous ceux qui l'entourent, partisans comme opposants, se dessine par le biais d'une mise en scène tenant surtout à installer sans tapage un état de fait.

Prendre la place d'un autre

La tension est donc très tôt palpable, mais cette confrontation du « revenant » avec les autres ne sera pas la ligne principale du récit. Car si sa survie pèse d'un poids lourd dans chaque plan, toute rencontre, toute conversation apparaissant comme une résurgence du passé, c'est son engagement dans une possible voie de réinsertion qui élargira progressivement les perspectives de la fiction. Se voyant attribuer en ville un poste de vigile après avoir contré sans effort l'autorité de son prédécesseur, le jeune homme sera amené, au présent, à une fois encore prendre la place d'un autre. Dès le lendemain de sa prise de fonction, sa « victime » et sa famille se présentent devant lui, alignés, pour lui signifier presque sans mot qu'il aura désormais leur malheur sur la conscience. Grande efficacité dans ce minimalisme : tout ici est moins à interpréter qu'à relever, le plus simplement du monde.

Film noir

Impasse, alors, que le destin d'un ex-soldat dont le salut, la réinsertion sociale semblent décidément une lubie, tant son existence même apparaît comme une offense, une anomalie. A partir de cette ligne fataliste, Ini Avan se drape d'une dimension de film noir assez inattendue, voyant le nouvel employeur du héros lui proposer très vite d'excéder le cadre de son emploi (et par la même occasion rendre son job à son prédécesseur) au profit de missions plus clandestines et mieux payées. La perversité toute particulière du scénario d'Handagama, de la situation qui se dessine au sein même de ce second acte résidant par ailleurs dans l'embarcation plus ou moins hasardeuse dans cette mission de la femme dudit prédécesseur, en qualité « d'accompagnatrice ».

Prise en charge d'une autre vie

Pour le héros, qui vient juste de récupérer la femme qu'il avait abandonnée pour la guerre ainsi que l'enfant qu'elle a eu d'un mari imposé et rapidement mort, tout sera alors question de mesure des risques réels de cette aventure douteuse, aussi bien pour lui-même (qui a l'habitude de côtoyer la mort, voire de parler avec les fantômes du passé) que pour sa compagne de possible infortune. Un nœud semble alors doucement mais sûrement s'enrouler autour du cou du survivant. Celui du danger, de l'incertitude la plus pleine quant aux tenants et aboutissants de sa fonction, mais aussi de la prise en charge d'une autre vie, lui à qui l'on a tant reproché de n'avoir pas déjà perdu la sienne.

Fantômes

Le passé cède donc progressivement la place au futur, les fantômes aux projections difficiles vers l'avenir. Et c'est là que ce film – qui déjà avait su parfaitement donner corps à des plans de hantise labile, d'effroi discret devant la dimension spectrale de tout corps entourant le héros –, s'emplit, alors que se valide cette nouvelle association, d'une tension progressive, dont la dernière demi-heure accueillera la douce implosion. Le piège était bien réel, cette mission, comme tout ce qui s'est présenté à lui depuis son retour, n'était qu'une monnaie supplémentaire de sa pièce (la guerre, la survie). L'heure est arrivée pour lui de fuir ses poursuivants tout en s'assurant que sa famille et surtout son associée, dont il ignore si elle est encore en vie, ne deviennent pas de prochains fantômes.

Le film peut être vu comme une longue divagation

Pour donner idée de la puissance figurative de Ini Avan, il faudrait, si cela est possible, ne parler que de ses silences lourds, l'épaisseur de ses obscurités, le vent mauvais des scènes de ville, bref : tout ce qui justement ne cesse d'interdire la description ! S'ouvrant sur un long plan du visage du revenant dans le bus le ramenant chez lui, se fermant sur son probable retour dans son foyer après une nuit et une matinée de cauchemar, le film peut être vu comme l'espace d'une longue divagation. Peut-être le jeune homme s'est-il laissé prendre à ce nouveau piège pour une dernière fois s'exposer au risque de ne pas revenir, lui qui, finalement, ne semble être tout du long qu'un corps en trop, n'existant que par le refus de presque tous de valider sa pleine existence. Aussi, son attachement à la femme d'un autre, dont il est difficile de déceler tout à fait l'éventualité amoureuse, a au moins pour bénéfice de lui fixer un nouveau repère. Si rien ne laisse augurer in fine une véritable résolution de son problème de réintégration, à l'échelle du film, la modeste reconnaissance d'une femme qui lui rappelle leur chance d'être « toujours vivants » est sans doute le meilleur signal pour amorcer le générique de fin. Et peut-être pour lui, comme n'importe-quel « héros », de repartir de plus belle.

Sidy Sakho

A l'occasion du débat Serge Daney, 20 ans après : la critique sur internet organisé lors du festival international du film de La Roche-sur-Yon (FIF 85), l'ACOR a demandé aux quatre critiques de la jeune génération invités de voir les quatre films sélectionnés par ailleurs dans le cadre des 2erencontres du cinéma indépendant organisées par le festival de La Roche-sur-Yon, le SDI et l'ACOR.
Chacun d'entre eux a écrit un texte sur un ou plusieurs de ces films, selon son choix.
Pour sa part, Sidy Sakho, fondateur et animateur du blog critique Ceci dit (au bas mot) a choisi d'écrire sur Ini Avan.




Ceci dit (au bas mot)
Avec ce blog, Sidy Sakho, lecteur de critiques, écrit à son tour sur les films, se démarquant volontiers de l'actualité, offrant ainsi la “tribune prioritaire d'un ralentissement, un retard bénéfique ”.
Photo © Francesco Capurro, 2008
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Ini Avan vu par Ceci dit (au bas mot)