J'ai imaginé comment ces personnes se préparent, s'exercent à mémoriser les morceaux, le temps que ça prend...

Comment t'est venue l'idée du vendeur de CD ?

Dans chaque wagon du métro de la ville de Mexico, on trouve depuis cinq ans des vendeurs de CD piratés qui font la publicité des albums qu'ils vendent à l'aide d'un haut-parleur. Mon personnage est inspiré de ces milliers de jeunes dans cette situation. L'idée de mémoriser les titres et de les réciter, avec ou sans accompagnement musical, est directement inspirée de la réalité de Mexico. Ça peut paraître absurde... Mais ce qui me touche dans cette façon de faire, c'est qu'il s'agit d'une preuve d'amour envers leur travail. Ils veulent rendre leur quotidien digne à leurs propres yeux. Ils savent pertinemment que la finalité n'est pas très importante, alors ils cherchent à bien faire. Bien entendu, ils vendent des contrefaçons. Mais ce ne sont pas de simples copies de disques existants. Ce sont de véritables compilations originales, conçues dans un esprit éditorial : ces vendeurs décident eux-mêmes des artistes qu'ils vont réunir, des titres qu'ils vont mettre ensemble, de l'ordre des morceaux... J'ai donc imaginé comment ces personnes se préparent, s'exercent à mémoriser les morceaux, le temps que ça prend, et l'impact sur ceux qui les entourent...

Chansons

Les paroles des chansons t'intéressaient en tant que telles ? Ou juste le principe de répétition ?

Les deux. Les chansons qui sont citées dans le film, je les ai choisies pour ce dont elles parlent. Elles sont comme des concentrés de vérité. Elles sont très niaises, mais portent aussi une part de vérité en elles. Je les aime malgré moi. Je voudrais ne pas y être sensible mais elles me procurent un véritable plaisir. Les paroles des chansons traitent sans détour et frontalement de problèmes sentimentaux, alors que les personnages n'osent jamais le faire. Le choc produit par la mise en relation entre le thème de ces chansons et la froideur des visages devant la caméra m'intéressait énormément. J'avais envie de faire un film avec un contenu populaire mais qui conserve une certaine distance avec ses personnages. C'est pourquoi les paroles ont une réelle importance. En même temps, le jeu sur la répétition est aussi quelque chose dont je voulais me servir. Cette histoire de vendeur de chansons populaires me permettait donc de concilier les deux directions.

Répétitions

La scène entre le premier père et le fils dans le canapé est répétée deux fois avec un changement dans le texte. Tu voulais garder les deux prises ?


La variation était voulue. Quand la scène recommence, le fils a en quelque sorte une mémoire cinématographique : il utilise l'information que le père lui a donnée dans la première prise pour mieux réfuter ses arguments. Je voulais que le spectateur se dise que la scène va tout simplement se répéter, et qu'il comprenne au fur et à mesure qu'en fait, le personnage a tiré la leçon de la première prise et que, du même coup, le film va prendre une nouvelle direction.

Bach

Les Chansons Populaires alternent avec Les Variations Goldberg de Bach. Pourquoi ?

Les Variations Goldberg de Bach furent une source d'inspiration pour imaginer la structure répétitive du film. J'y songeais déjà avant le tournage. Je voulais que le film soit structuré comme l'œuvre de Bach : d'abord, l'aria qui correspond à la liste des titres ; puis une série de variations qui correspondent aux scènes oú les personnages s'entraînent à répéter les titres par cœur ; enfin, entendre les chansons elles-mêmes et voir des scènes qui se répètent. Je prévoyais de finir le film avec la même liste de titres qu'au début comme l'aria se répète à la fin des Variations Goldberg. Une fois le tournage commencé, j'ai pris plus de libertés pour que le film trouve sa propre forme.

Jouer avec le vrai et le faux

As-tu songé à chercher un vrai vendeur pour jouer dans le film ?

Non. Si j'ai inséré de vrais plans documentaires ou que j'interviens directement avec ma voix, c'est pour faire ressortir l'artifice et casser le réalisme. Je n'avais pas envie de montrer le métro et sa quotidienneté. Je souhaitais construire un espace purement cinématographique qui permette de jouer avec le vrai et le faux.

Déconstruction

Pourquoi soudain le père demande à Gabino comment sa mère est morte ?

L'idée était de créer un moment de rupture dans le film oú la déconstruction commencerait. Ce sont des préparatifs, avant l'arrivée du deuxième père. J'avais envie aussi de parler de la famille des acteurs, donc de les faire parler de leur vie. Le premier père du film est joué par le vrai père de Gabino. Cette scène n'a pas été répétée. Quand Gabino est sommé de répondre à propos de la mort de sa (vraie) mère, il ne joue pas. Ou disons qu'il doit faire avec quelque chose de réel.

Deux univers superposés

Et pourquoi montrer l'équipe technique dans la deuxième partie du film ?

C'est comme dans un making-of où les acteurs ne cesseraient pas d'être des personnages. Il y a deux univers superposés. Et ce qui est très intéressant, c'est que d'un côté, il y a Gabino qui comprend très bien ce qui se passe, il sait qu'il doit continuer à jouer comme si le décor ne bougeait pas  ; et de l'autre, le nouveau père est complètement paumé. Ça me plaisait d'observer ce nouveau père qui, n'étant pas un acteur professionnel, devait s'adapter à un monde de fiction tout en restant lui-même. Son jeu est documentaire, naturaliste. Aucun acteur au monde ne pourrait faire ce qu'il fait. Pourtant, il n'est pas en train de rejouer sa vie. Il devait être lui-même dans un autre contexte. Il improvise, il fait ce qu'il ferait si le film était la r&233alité. Et tous les autres l'aident. Pour arriver à̀ ce résultat, il fallait que tous les acteurs de la première partie sachent ce qui allait arriver ensuite, alors que le nouvel acteur découvrait, lui, l'univers du film au fur et à mesure du tournage.

Climax

Le moment le plus émouvant du film c'est quand le fils joue le rôle du père afin de préparer la mère à avoir la force de mettre dehors le vrai père. Dans cette scène, Gabino finit par convaincre sa mère de la possibilité d'une réconciliation. Et ils finissent par se prendre dans les bras.

C'est un moment crucial pour plusieurs raisons. D'abord, c'est le moment de la réconciliation au sein de la famille. La mère accepte en quelque sorte de prendre son fils pour son mari, et lorsqu'elle le prend dans ses bras, c'est le père, la mère et le fils qui sont réunis. C'est donc le climax du drame familial. Ensuite,c'est un moment de mise en scène au sein même de la fiction.Il y est question d'interprétation : le jeu, l'artifice aide les personnages à résoudre des situations très chargées en émotions. Enfin, c'est aussi le moment du film où Gabino est à la fois son personnage (le fils), le personnage qui joue à un autre personnage (le père) mais aussi l'acteur en tant que tel. Les trois niveaux sont présents dans cette scène. Et si elle fonctionne, c'est parce que le spectateur (comme les personnages) ne veut pas que la représentation tombe par terre. Les mécanismes de la fiction sont à nu et pourtant les émotions en jeu sont telles que le dispositif n'est pas gênant. Le spectateur a besoin d'y croire alors qu'on lui dit que c'est faux, comme chez Brecht.

Famille

Quel est le véritable sujet du film ?

La famille, les rapports entre chaque membre de la famille. C'est pourquoi il y a en quelque sorte deux familles. Le fait de changer l'acteur qui joue le père au milieu du film donne une nouvelle configuration à la famille. La personnalité de l'acteur change l'équilibre du groupe. Les rapports entre le père, la mère et le fils sont modifiés. Quand je travaille sur l'interprétation et la répétition, c'est une façon pour moi de parler de la famille, de mes personnages et de mes acteurs. La question qui me passionne depuis toujours au cinéma c'est : qui est cette personne que je vois sur l'écran  ?

L'absence du père est caractéristique des familles mexicaines

Le personnage du père est fondamental.

L'absence du père est caractéristique des familles mexicaines. Ce qui m'intéressait c'étaient les conséquences de cette absence sur le reste de la famille, sur la vie professionnelle des enfants, et la façon dont ces modes de vie affectent le quotidien de la famille, sa capacité à affronter des problèmes graves comme les crises économiques, le chômage... La famille est l'institution la plus importante de la société mexicaine, et il me parait incontournable de l'analyser. Le père apparaît pour la première fois dans les Chansons populaires, mais son fantôme n'a cessé d'accompagner tous mes films. Malgré son absence dans les précédents films, il a toujours été un personnage important de mon cinéma. Les Chansons populaires est emblématique, il révèle beaucoup de choses concernant les motivations de mes personnages. Et je pense que cela est dû au retour du père, ou plutôt au retour de deux pères possibles.

Réconciliation

La réconciliation entre le père et le fils était l'horizon du film ?

Je crois que peu de pères se réconcilient avec leurs fils, et les hommes perpétuent cette habitude d'abandonner leur famille. Mais au fond, je pense que les fils comprennent. Dans Les Chansons populaires, on se rend bien compte à la fin du film que la nouvelle vie du père est un désastre, et pourtant le fils l'accepte et veut en faire partie. Tout ce que nous voyons et entendons dans la dernière scène est déprimant, et cependant, Gabino, lui, est heureux.


Propos recueillis et traduits par Capricci
2013 © Capricci • DR


Entretien avec Nicolás Pereda